Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

P. LANDY Parti à 1' « élite », volume de la demande excédant de beaucoup l'offre de biens et de services et, last but not least, possibilités encore réduites d'éléyation sociale pour la grande masse des ouvriers. Les délits des employés de l'appareil commercial socialisé - détournements, achats fictifs, faux inventaires, etc. - sont généralement attribués à une origine petite-bourgeoise. La différence essentielle entre ouvriers chapardeurs et employés de commerce qui fraudent réside dans l'importance des dommages et la durée de~ délits. Si l'ouvrier d'usine est souvent un simple exécutant dans une bande organisée ou un petit voleur pour son propre compte, ceux qui appar.. tiennent à la deuxième catégorie ont, en vertu de leur situation, plus facilement l'occasion de se livrer à une activité frauduleuse à grande échelle ; et comme ils ont d'habitude des complices et soudoient les fonctionnaires chargés de la surveillance, ils peuvent accomplir leurs forfaits pendant un grand laps de temps. De plus, le caractère complexe des activités des gérants de magasin, comptables, commissionnaires d'achat, etc., et les circonstances favorables ainsi que les tentations sont des facteurs très différents de ceux qui influencent le comportement des ouvriers. Etant donné les pénuries périodiques de denrées, le manque chronique de biens de consommation durables, la distribution inefficace et la lourdeur de la bureaucratie (auxquels s'ajoutent ces derniers temps en Bulgarie, Tchécoslovaquie et Hongrie de sérieuses difficultés dans l'approvisionnement en produits agricoles), les branches distributrices des économies d'Europe orientale sont les pépinières d'une multitude de « combines ». Selon des estimations fondées sur l~s statistiques officielles, 15 % au moins du mouvement des marchandises et de l'argent en Pologne se font hors des canaux légaux. Une liste noire établie par le ministère polonais du Commerce donne les noms de 19.000 anciens employés de commerce qui ont infligé des dommages s'élevant à 243 millions de zlotys (Glos Robotniczy, Varsovie, 20 mai 1960). En Bulgarie, 70 % des personnes condamnées à mort pour crimes économiques au cours des trois dernières années étaient employées dans le réseau commercial. Cette deuxième catégorie est une « courroie de transmission » entre les entrepreneurs privés légaux et illégaux, d'une part, et les ouvriers chapardeurs et la couche inférieure et moyenne de la bureaucratie d'Etat, d'autre part, ainsi qu'en témoigne l'histoire suivante : Un vendeur de la brasserie Koebanvai de Budapest, Istvan Vig, forma une bande criminelle de 62 personnes composées d'ouvriers, d'emballeurs, de vendeurs et de gardiens. Pendant trois ans, la bande vola de la bière, des tonneaux, des bouteilles. Elle s'était abouchée avec les gardiens, censés contrôler les sorties de marchandises, pour en sortir plus que la quantité contingentée. L'affaire s'étendit et des envois entiers de bière furent détournés. Par des • contacts »., la bière Biblioteca Gino Bianco 167 et les bouteilles volées étaient vendues au prix de détail à des vingtaines de gérants de magasins et de cafés appartenant à l'Etat à Budapest et dans les villages avoisinants. En tout, 1.500 caisses de bière valant plus d'un million de forints furent subtilisées. Les receleurs les vendaient à leur tour avec un bénéfice substantiel. Celui qui avait le mieux réussi était Laszlo Galgoczi, directeur d'un centre culturel à Pesterzsebet, qui reconnut avoir reçu des marchandises volées, mais aussi avoir fraudé sur le poids et majoré les prix. Avec le produit de ses larcins il s'était acheté une voiture, un poste de télévision et une maçhine à laver (N epszava, Budapest, 4 fév. 1960). Pologne et Hongrie L'OSMOSEdes groupes, qu'on peut appeler l' « ossature institutionnelle » de la corruption et de la spéculation, vaut surtout pour la Pologne et la Hongrie, où, depuis 1956, existe davantage de liberté dans divers secteurs de la vie intérieure. Bien que beaucoup de ces libertés aient été peu à peu supprimées ou restreintes, les petits producteurs urbains qui forment le troisième groupe de « criminels » constituent toujours une part essentielle de la vie économique quotidienne. Malgré les strictes limitations et des tracasseries croissantes, l'initiative privée se développe à un rythme accéléré, selon une loi naturelle parfaitement incompatible avec les principes communistes ainsi qu'avec le plafond imposé à l'origine à ses activités. Dans l'esprit des dirigeants de Pologne et de Hongrie, le secteur privé était en effet avant tout un expédient économique pour pallier les déficiences des services de consommation, pour compléter l'artisanat, pour accélérer la construction et la production de certains produits de haute qualité. Mais lorsqu'il devint évident que l'initiative privé~, en vertu de son dynamisme inhérent, étendait sans cesse son influence, les gouvernants commencèrent à virer de bord, renonçant à leur bienveillance initiale. Diverses mesures - contrôles serrés des prix et des matières premières, augmentation des impôts et des loyers, limitations sur l'importance et l'emplacement • des affaires - furent prises pour arrêter la croissance du secteur privé 3 • Les nouvelles restrictions agirent cependant comme un boomerang ;- elles aggravèrent les difficultés dues à l'absence d'un mécanisme de marché et influèrent sur les relations sociales et là morale publique. Les entreprises privées, afin de se procurer les matières premières dont elles avaient tant besoin, du_rent recourir à la corruption, aux opérations de marché noir et à la spéculation, stimulant ainsi le chapardage. La politique de « douche écossaise» des dirigeants polonais et hongrois atteste qu'ils ont conscience 3. En Hongrie, un nouveau code de règlements restrictifs fut publié le 1er mai 1958. Depuis, le nombre d'artisans privés a décliné de 119.300 à 90.000. En Pologne, le nombre de magasins privés a décru de 4,4 % au cours des trois premiers trimestres de 1960.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==