DICTATURE ET CORRUPTION par Paul Landy PARMI les nombreux problèmes qui assaillent les gouvernements d'Europe orientale aucun ne paraît plus urgent que ce qu'o~ nomme communément « crime économique !> ou, comme l'a bien qualifié un journal polonais, « démoralisation institutionnelle ». On ne .compte plus le~ vols, les fraudes, les accusatlons de corruption et de marché noir. De v~hém~ntes capi~agnes de propagande et des discussions theoriques dans la presse officielle ont révélé l'inquiétude du parti au pouvoir dans .tous les pays d'Europe orientale devant cette marée. montante. Or les autorités appliquent ess7ntielle?1ent une thérapeutique de surface qw ne _fait qu'effleurer les vrais problèmes, évit~! s?ign~usement les s~urces profondes de la d~sinteg;~tton morale si largement répand~e. Bien qu ils prennent de plus en plus conscience d'une érosion morale du système par le dedans, les communistes rejettent publiquement le blâme sur cet éternel bouc émissaire, les ennemis de classe nationaux et internationaux qui « empoisonnent l'esprit des masses laborieuses et jettent la confusion dans leur conscience». Le crime économique implique par définition un _ac_tequi. inflige ~es dommages à la propriété socialiste ou collecttve. Le concept d'une écon~mie entièrement socialisée permet de considerer tout délit contre la propriété publique comme une activité politique contre l'État. ·Dans l'atl!-1osphèreexplosive de 1957-58, de menus larcms revêtirent ainsi un « caractère contrerévolutionnaire » en Hongrie et en Roumanie. A LA RACINE du crime économique, on trouve -:- pour emprunter au lexique « marxistè-lénimste » - la « contradiction irréductible » entre le dogme officiel sur « l'Etat ouvrier» et la « pro- · Biblioteca Gino Bianco pr~été d'Eta~ ;> et les rapports réels de production. ~lovan DJllas a clairement défini ce point important: !-;a,pro~riété est légalement considérée comme propnete sociale et nationale. Mais en réalité un seul groupe la gère dans son propre intérêt. L'écart entre les conditions légales et les conditions réelles a continue~ement pour résultat des rapports sociaux et économiques confus et anormaux. ~a, co!1tradictionentre la fiction légale de propriete d Etat et son contenu réel - possession . ' ges~on e~ _usagede la propriété par la bureaucratte polittque - ne peut manquer de conduire à la corruption institutionnelle et à la déformation de la moralité publique. ~algré de~ ?Ïstinctions, parfois importantes, suivant les differents pays, certains traits fondamentaux sont communs à tous les régimes totalitaires d'Europe orientale en matière de crime éco~omique. Le fait essentiel est que, par la logique même de leur situation sociale et économique, les ouvriers (et les autres couches exploitées) refusent de reconnaître comme la leur la pro~riété social~. Sous ~ ~ystème qui interdit la li~re, :xpressi~n des opiruons ·et la protection des interets ouvriers par des syndicats véritables le crime économique est une forme nouvelle d; la lutte des classes, les ouvriers réagissant à leur condition d'une façon qui, en.· fin de compte, fausse les normes de la moralité publique 1 • I. Citon~ au hasard : u Il_ fa~t reconnaître que la plus grande partie des dommages infligés à la propriété publique n'est pas causée par les « grands criminels», mais plutôt par les menus voleurs, les gaspilleurs, les fainéants. L'ouvrier négligent ne considère pas la propriété collective comme la sienne, et par son irresponsabilité la propriété socialiste subit d'immenses dommages• (Nepszabadsag, Budapest, 12 mars 1959).
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