E. DELIMARS ...Certains dirigeants du Parti et des organes administratifs et agricoles consacrent le plus clair de leur énergie à obtenir pour leur région le plan le plus réduit possible de vente à l'Etat de céréales, de viande, de lait et autres produits. En même temps, ils s'efforcent d'obtenir le maximum de fournitures de la part du Fonds fédéral d'approvisionnement... Ce sont des banqueroutiers et non des dirigeants. Leur devise est de donner le moins possible et de recevoir le plus possible (ibid.). Ces « banqueroutiers » ne sont probablement que des réalistes qui mesurent l'impossibilité de remplir les normes imposées et prennent leurs . précautions pour rester dans leslimites du réalisable. D , AUTRES se contentent de souscrire chaque année l'engagement de dépasser le plan, mais ne se soucient point de le faire. Ainsi les chefs de la région de Toula annoncèrent au début de 1960 que leur région vendrait cette année-là 147.000 tonnes de viande, soit le montant de trois plans annuels : elle n'en livra en réalité que 62.500 tonnes, soit 43 % de la quantité promise. Ces gens sont à leur tour stigmatisés par Khrouchtchev : Quel besoin a-t-on d'engagements qui ne sont pas remplis ?..• De tels faits avaient cours dans le passé. Ils ont été sévèrement condamnés par le Parti. Pourquoi faire renaître maintenant le pire, pourquoi ressusciter ce qui était déjà condamné ? (Pravda, 14 janv. 1961.) Khrouchtchev avoue par là que ces pratiques ne sont que la répétition de celles qui étaient universellement admises.du vivant de Staline. Mais là où les dirigeants veulent remplir à n'importe quel prix les .engagements souscrits, la situation est encore plus inquiétante. On se souvient du succès quasi miraculeux prétendument obtenu en 1959 par la région de Riazan qui vendit à l'Etat 150.000 tonnes de viande au lieu de 50.000 prévues par son plan annuel, et qui de surcroît avait augmenté son cheptel collectif.A.N. Larionov, secrétaire du comité régional du Parti, fut décoré de l'ordre de Lénine et chaudement félicité. Mais en proposant la région de Riazan pour modèle, Khrouchtchev avait fait un choix malheureux. Force était de constater en 1960 que les brillants résultats obtenus n'étaient en grande partie que du bluff. Voici ce qu'il en dit maintenant : On avait vanté les grands succès de la région de Riazan. Avec un plan de 50.000 tonnes, elle vendit à l'Etat plus de 100.000 tonnes de viande, soit deux plans annuels ... Malheureusement, de grandes fraudes furent découvertes. Certains kolkhozes et sovkhozes, qui voulaient réaliser le plan à tout prix, avaient massacré leur troupeau et saboté ainsi leurs possibilités pour l'année suivante. Il y eut des cas de faux en écritures, d'achat de bétail aux tiers que l'on comptait dans la production du kolkhoze ou du sovkhoze ... (Pravda, 22 janv. 1961). Biblioteca Gino Bianco 161 On peut d'ailleurs se demander si ces kolkhozes et sovkhozes ambitieux voulaient de leur propre chef réaliser le plan de livraison de viande ou s'ils ne faisaient qu'exécuter les ordres de Larionov. En effet, les autorités supérieures - celles de la république fédérée, de la région ou du district - font pression sur les dirigeants des exploitations agricoles pour · les contraindre à souscrire des engagements exagérés de production; c'est là monnaie courante en U.R.S.S., à tel point que Khrouchtchev lui-même se méfie des promesses faites par les présidents de kolkhozes ( Pravda, 17 janv. 1961). Mais les autorités « d'en haut» ont encore un autre moyen de tromper l'Etat et de recueillir des félicitations et faveurs imméritées - c'est de proposer pour décorations et récompenses leurs subordonnés qui ont, soi-disant, obtenus des rendements remarquables de leur exploitation. Khrouchtchev nous fournit un exemple en citant au C.C. le cas de Boïko,président du kolkhozeLénine, région de Poltava, bombardé « héros du travail socialiste» en décembre 1959 sur proposition du comité du Parti de sa région. Sur dénonciation d'un de ses kolkhoziens, une enquête révéla que le rendement du kolkhoze ne dépassait pas le tiers de celui indiqué par Boïko. Indignation de Khrouchtchev : On se demande pour quelle raison le comité régional du Parti de Poltava avait proposé Boïko pour cette récompense. C'est une fraude, un crime contre le peuple ... Les coupables ne sont point des communistes, mais des arrivistes qui se sont glissés dans le Parti. Ce n'est pas par leur travail et leur intelligence qu'ils veulent gagner la notoriété, mais par des machinations malhonnêtes. Il faut résolument lutter contre ces hommes qui ont une carte du Parti dans la poche. Est-il honnête d'acheter dans d'autres exploitations plus de 1.126 quintaux de viande et de les faire passer pour la production de son propre kolkhoze ... Il faut réviser l'attribution de cette récompense et priver Boïko du titre de« héros du travail socialiste » (Pravda, 22 janv. 1961). Le mot d'ordre de Khrouchtchev et de la direction du Parti au C.C. paraît avoir été en janvier 1961 : « Ce sont quelques éléments pourris ou incompétents des cadres dirigeants qui sont responsables de l'échec de l'agriculture et de l'élevage en 1959 et en 1960, e~ non la ·politique agricole du Parti. Il faut les épurer et tout ira bien. »En conséquence, tous les comptes rendus de premiers secrétaires du Parti ou de présidents du Conseil des républiques fournissaient des exemples d'incurie, de manque de sens civique, d'immoralité ou de malhonnêteté des cadres. Il serait oiseux de multiplier les citations des variations innombrables faites sur ce même thème à la tribune du Comité central. Retenons pourtant l'aveu de Polianski, président du Conseil des ministres de la R.S.F.S.R. : Quant à l'élevage, les dirigeants d'exploitation, de district ou même de région recherchent surtout des records isolés. Ils créent dans ce but le maximum de conditions favorables et oublient de propager les méthodes d'avant-garde dans toutes les exploitations et
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