Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

158 nente trouva sa formulation classique. Trotski prit grand soin de souligner que la révolution permanente viendrait de la nécessité historique : Ce n'est pas une idée que nous mettons en avant comme une prémisse de notre tactique. La théorie de la révolution permanente est une. conclusion tirée des rapports réciproques de la révolution. Nous serions de bien misérables subjectivistes si notre tactique n'était qu'une application pratique de cette idée abstraite (Notre Révolution, p. XVII). Qu' ADVINT-T-IL de la théorie en 1917 ? A l'origine, elle était une interprétation nouvelle des contrastes du relief politique de la Russie. Ce n'est que plus tard qu'elle avait été développée et placée sur un plan international. En 1917, on aborda le problème par l'autre bout. Lénine, qui jusqu'alors n'avait jamais consacré son temps à la théorie, pas même pour la réfuter, était arrivé à la conclusion que la révolution mondiale naîtrait de la guerre mondiale. De cette idée générale à son application en Russie, il n'y avait qu'un pas. Si le monde capitaliste en guerre était une chaîne soumise à une tension extrême, le maillon le plus faible devrait céder. La révolution socialiste en Russie ne serait qu'un prélude à la révolution socialiste ailleurs. Après février 1917, Lénine accepta pour la Russie les perspectives hardies de la révolution permanente qui jetterait le brandon dans le baril de poudre d'Europe occidentale. La révolte spontanée des masses d'Occident balayerait l'influence conservatrice des partis social-démocrates. Les nouvelles prévisions de Lénine constituaient une rupture complète avec les traditions du bolchévisme. Lorsqu'il les présenta à son retour en Russie en avril 1917, elles firent l'effet d'une bombe sur les dirigeants bolchéviques demeurés en Russie pendant la guerre. D'autre part, en ce qui concerne la Russie, Trotski rompit définitivement avec la philosophie du fatalisme révolutionnaire qui avait inspiré ses mises en garde contre la tentation « subjectiviste » de faire de sa théorie abstraite la base de la tactique du P.S.D.R. A cet égard, il fit volte-face. Il n'était plus question de la pression des événements réconciliant bolchéviks et menchéviks, pas plus que de la logique de l'histoire se manifestant par l'action spontanée des masses. La révolution devint un processus dans lequel deux des plus grands chefs révolutionnaires de tous ·1es temps, à la tête d'un parti formidable, imposaient à leur pays un nouveau schéma politique prédéterminé. Quinze ans plus tard, Trotski devait dire que, selon-toute probabilité, il n'y aurait pas eu de révolution d'Octobre si Lénine n'était pas arrivé à Pétrograd en avril 1917. Une telle interprétation, généralement acceptée, met Biblioteca Gino Bianco--~- LE CONTRAT SOCIAL l'accent sur les dirigeants et l'organisation. L'idée qui inspira le soulèvement d'Octobre fut la combinaison d'un coup d'Etat brillamment organisé en Russie avec l'espoir d'un soulèvement spontané des masses en Occident. Pour persuader · ses camarades bolchéviks de faire le plongeon décisif, Lénine fit grand usage des_ nouvelles d'une mutinerie de la marine allemande, annonciatrice de mouvements encore plus formidables à venir. Au moment même où elle paraissait triompher, la théorie de la révolution permanente avait capitulé devant une conception complètement différente. La prémisse fondamentale sur laquelle Lénine et Trotski s'étaient alliés en 1917, leur conviction de l'imminence d'une révolution mondiale, se révélait sans fondement. De ~ là vint, comme on peut le voir avec le recul du temps, la chute finale de Trotski. La théorie de la révolution permanente a-telle fait son temps ? La réponse est non si l'on s'en tient à quelques propositions très générales, tel le heurt entre le très ancien et le très nouveau dans les pays sous-développés. Réduite à l'idée que, dans un régime traditionnel affaibli, un parti de révolutionnaires déterminés peut s'emparer du pouvoir politique, imposer à un pays arriéré un programme d'industrialisation et créer d'en haut un prolétariat, la théorie est encore pertinente aujourd'hui. Mais la réduire à cela, c'est la vider de sa substance. Les mouvements d'aujourd'hui en Asie et en Afrique qui donnent à penser que l'idée était juste sont surtout inspirés par le nationalisme. Or, poussée jusqu'à ses dernières conséquences, la théorie de Trotski reposait sur l'internationalisme au sens le plus fort. Elle envisageait la coopération la plus étroite entre une Allemagne et une Russie socialistes ; quand Trotski écrivait que la démocratie serait réalisée en Russie par la dictature du prolétariat, il était parfaitement sincère. Il croyait à l'autoexpression des masses au moyen d'institutions créées d'en bas, par opposition au règne d'un parti. Dans les nouvelles versions du marxisme données. par les révolutionnaires asiatiques de notre temps, l'accent est mis sur le rôle des masses rurales. Dans le système de Trotski, il y avait la différenciation la plus nette entre la ville et la campagne : tous les espoirs reposaient sur la ville, élément de la Russie arriérée lié à toute la culture de l'Europe occidentale. La théorie de la révolution permanente appartient à une époque historique révolue, celle de la IIe Internationale. Les réalités d'aujourd'hui sont fort éloignées des rêves du jeune homme génial qui rédigeait en 1906, dans une cellule de Pétersbourg, sa version x:xe siècle du Manifeste communiste. HEINZ SCHURER. ( Traduit de l'anglais)

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