Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

H. SCHURER lui aus.si_quel'Europ~ étai_t11?-fup:eour le passage au socialisme. Trotski en infera1t que la question russe ne pouvait être considérée que comme un reflet de la question fondamentale de l'époque. Les problèmes généraux du monde capitaliste avancé se poseraient avec le plus d'acuité dans un pays arriéré aux fortes tensions sociales et politiques. Sans le soutien d'une révolution socialiste victorieuse en Occident, la révolution permanente russe serait vouée à l'échec. Toutefois, il était tout aussi inévitable que la révolution permanente russe allumât une révolution en Occident. A la fin de sa vie, Trotski résuma ainsi sa théorie: La victoire complète de la révolution démocratique en Russie n'est concevable que sous forme d'une dictature du prolétariat s'appuyant sur le paysannat. Cette dictature, qui mettrait inévitablement à l'ordre du jour des tâches non seulement démocratiques, mais aussi socialistes, donnerait en même temps une forte impulsion à la révolution socialiste internationale. Seule la victoire du prolétariat en Occident pourrait sauver la Russie de la restauration bourgeoise et lui assurer la possibilité de parachever l'instauration du socialisme (Stalin, p. 433). T~otski a toujours pensé que la campagne devait céder le pas à la ville, que le prolétariat urbain prendrait la tête du paysannat. Une fois les mesures socialistes introduites tout de bon, la collision était inévitable entre la classe ouvrière victorieuse et les masses rurales. Isolé, le prolétariat russe aurait certainement le dessous, à moins que la révolution en Europe occidentale .ne .vi_enne à son secours : « Le gouvernement socialiste russe jettera dans la balance (...) le poids énorme que lui donne la constellation de la révolution démocratique russe 7 • » Y AVAIT-IL des raisons de supposer pareil effet d~ l'Est sur l'Ouest ? De nouveau, Trotski put faire appel aux leçons de 1905 et aux répercussions en Autriche et en Allemagne. Surtout en Allemagne, l'émoi des membres de base du mouvement ouvrier avait surpassé de loin la détermination des dirigeants ; la correspondance de Bebel, publiée récemment, ne laisse aucun doute sur le fait que les dirigeants considéraient qu'ils devaient agir comme un frein 8 • Des sources contemporaines confirment que le mouvement de masse fut spontané et que la direction du parti s'employa à le tempérer. Cela n'entrait que trop bien dans le cadre général des idées nées chez Trotski de l'expérience russe. On ne peut pas dire que Trotski fût aveugle aux aspects non révolutionnaires de la socialdémocratie allemande : 7. « Bilan et perspectives»., op. cit.., p. 286. 8. V. Adler : Briefwechsel mit A. Bebel und K. Kautsky., Vienne 1954. Biblioteca Gino Bianco 157 Les partis socialistes européens - et en premier lieu le plus puissant d'entre eux, l'allemand - ont développé leur conservatisme qui devient plus fort en fonction de l'importance des masses affectées, de l'efficacité de l'organisation et de la discipline du parti. Il est donc possible que la social-démocratie devienne un obstacle sur la voie de tout conflit ouvert entre les ouvriers et la bourgeoisie 9 • Il n'était cependant pas pessimiste pour cela : L'immense influence de la révolution russe est démontrée par le fait qu'elle tue la routine du parti, détruit son conservatisme et met à l'ordre du jour la lutte ouverte entre le prolétariat et le capitalisme. La lutte pour le suffrage universel en Autriche et en Allemagne s'est intensifiée sous le coup de la grève russe d'octobre. La révolution à l'Est communique au prolétariat occidental l'idéalisme révolutionnaire et éveille le désir de « parler russe » à l'ennemi de classe (ibid.) . Quel effet la révolution russe eut-elle en réalité sur la social-démocratie allemande ? Le parti avait été incontestablement poussé à gauche. Jusqu'alors l'idée de la grève politique de masse, préconisée avec ferveur par Parvus depuis dix ans, avait trouvé peu de sympathie à la direction du parti. En 1905, enflammé par l'exemple russe, le parti surmonta sa répugnance et accepta l'idée. Cela s'accordait assez bien avec les conceptions de Trotski. Pourtant, à l'époque où Trotski rédigeait son essai en 1906, le parti allemand abandonnait précipitamment sa position radicale sous la pression des syndicats, horrifiés à l'idée d'une grève politique de masse. Un homme de la tournure d'esprit de Trotski ne pouvait être démonté par une telle retraite. Pour lui, la grande leçon des orages de 1905 avait été que la force principale qui meut l'histoire est l'action spontanée des masses. Sous sa pression, les fractions en guerre, menchéviks et bolchéviks, s'étaient réconciliées, oubliant les disputes de l'exil. Parvus écrivait sur le rôle des dirigeants du parti : « Nous n'étions que les cordes d'une harpe éolienne sur laquelle jouait le vent de la révolution 10 • » Trotski établit dans son esprit un parallèle entre l'intelligentsia émigrée russe et la bureaucratie ouvrière allemande, toutes deux considérées comme des obstacles en puissance sur le chemin de l'histoire, et toutes deux devant inévit3:blementêtre poussées dans la bonne direction sous la pression des événements. La lave brûlante des « masses rangées en bataille » ferait sauter la croûte bureaucratique du parti allemand. En 1930, Trotski décrivit son attitude envers les réalignements à l'intérieur du P.S.D.R. d'avant 1917 comme inspirée par le fatalisme révolutionn·aire. En 1906, cette philosophie, empreinte d'une foi profonde dans le pouvoir créateur des masses et à forte nuance libertaire, fut exprimée dans la préface au recueil d'essais dans laquelle la théorie de la révolution perma9. « Bilan et penpcctives », op. cit.., p. 285. 10. Neue Zeit., vol. 24., 1re partie., 1906, p. 113.

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