Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

LA RÉVOLUTION PERMANENTE par Heinz Schurer DANS L'HISTOIRE des idées politiques, il y en eut peu d'aussi fécondes que la théorie de la révolution permanente, suggérée pour la première fois à titre expérimental par le socialiste germano-russe Parvus en 1905, puis développée en 1906 par Trotski, son ancien disciple. Jusqu'à la fin de sa vie, Trotski maintint que les événements de 1917 en Russie lui avaient donné raison, ce qui paraît juste dans la mesure où le parti bolchévique en s'emparant du pouvoir s'était inspiré des conceptions esquissées par ces deux hommes. La théorie doit être replacée dans le climat spirituel où elle est née, caractérisé par l'étroite interaction du marxisme allemand et du marxisme russe avant 1914. Elle fit l'effet d'une bombe, car elle allait à l'encontre de tous les modèles de l'avenir acceptés alors par la doctrine marxiste : un pays économiquement sous-développé comme la Russie pouvait réaliser la transition au socialisme avant l'Occident économiquement avancé. L'idée était-elle simplement une version nouvelle, marxiste, du vieux thème slavophile et populiste de la mission d'une Russie jeune et saine montrant la voie à l'Europe décadente ? Bien au contraire, la théorie était due aux deux marxistes russes les plus occidentalisés qui n'avaient que mépris pour la « prosternation intellectuelle devant la peau de mouton russe ». -Parvus, d'origine russe, s'était fait un nom dans la so~ial-démocratie allemande en tant que champion du marxisme révolutionnaire opposé à Bernstein, lequel rompait des lances en faveur d'une politique réformiste menant à un capitalisme démocratique de bien-être. La première contribution originale de Parvus fut d'affirmer que la révolution socialiste était imminent~, contraire~ent à ceux q~ la renvoyaient à un avemr astronomtquement éloigné; Passionné Biblioteca Gino Bianco par la controverse entre le marxisme et le révisionnisme qui faisait rage en Allemagne, Trotski, encore en Russie, fut très influencé par l'attitude de Parvus avant même le début du siècle. Le mouvement allemillld semblant perdre de sa flamme primitive, l'idée qu'un stimulant pourrait venir de Russie au socialisme allemand gagna du terrain, nouveauté avancée pour la première fois par Karl Kautsky, éminente figure intellectuelle du marxisme allemand. En 1902, ce dernier écrivit que le centre de l'activité révolutionnaire pourrait se déplacer d'Allemagne en Russie, que le souffle frais venu de l'Est pourrait balayer les toiles d'araignée philistines qui commençaient d'empêtrer le parti allemand 1 • Le premier jour de l'année fatidique 1905, la défaite de la Russie devant le Japon se profilant déjà à l'horizon, Parvus devait exprimer les sentiments de Kautsky en termes plus catégoriques : « La révolution russe ébranlera le monde. Le prolétariat russe pourrait bien devenir l'avant-garde du mouvement socialiste international » ( lskra, 1er janv. 1905). C'ESTdans la deuxième moitié de l'année 1904 que Trotski fit un séjour chez Parvus à Munich. Lors de Ja fameuse scission du parti socialdémocra~e ouvrier de Russie (P.S.D.R.) en 1903, tous deux avaient adopté une ligne antiléniniste. La querelle avait dévié vers des différences d'interprétation du rôle de l'intelligentsia marxiste dans le mouvement ouvrier russe. Contre Lénine, -ses antagonistes, Parvus, Trotski et Rosa L~embourg, soutenus par Kautsky, avaient souligné 1. c Lés Slaves et la révolution•, in lskra, 10 mars 1902, n° 18..

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