Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

K. PAPAIOANNOU Nous savons qu'il est aussi peu en notre pouvoir de créer la révolution qu'en celui de nos adversaires de l'empêcher. Notre travail ne consiste pas à pousser vers la révolution ni à la préparer 32 ••• -~ confla?c~ placée par Marx dans les «pres- ~p~on~ » 1!1'e~us~bles _des forces \'roductives legittmait ainsi 1attentisme réformiste et le c<;>nservatismebureaucratique et préparait la pue des ~tas~oph~s : on sait que le «chemin du pouvoir » si magistralement tracé par Kautsky a finalement conduit les sociaux-démocrates dans les camps de concentration nazis. D'autre part, ayant conquis le pouvoir dans un pays. arriéré, où l'immense majorité paysanne employait encore la charrue de bois, les bolchévilcs devaient nécessairement prendre le contrepied du fatalisme réformiste et mettre l'accent sur la lutte de classes conçue comme un facteur ~émi~gique tout-puissant que seuls les « réactionnaires » ou les analphabètes pouvaient mettre en doute. Pendant cette courte période héroïque du bolchévisme, la théorie «dialectique» de la l~~e d~ .classes était un dogme tangible, une v~~~ evi~ente. Pour ~oukharine par exemple, c etalt fan:e p~euve ~ une «surprenante ignorance », v~ire d une « im~udence exceptionnelle » que ~e ruer les alternatives apocalyptiques du ~0:nif e~te. Le. ~esponsable de cette «impudence », 1 historien militaire Hans Delbrueck, avait osé affirmer «qu'il n'y a pas eu dans l'ancienne Rome d'effondrement simultané des deux classes en lutte », alors que, répond Boukharine, cc la chute de l'Empire romain est un fait qui ne craint guère de réfutation » 33 • Selon Boukharine, la chute de la partie occidentale de l'Empire romain aurait été le résultat de l' «effondrement » des deux classes «fondamentales » de la société esclavagiste, et cela malgré le fait que la dernière révolution servile y avait été écrasée six siècles auparavant, malgré le fait aussi que ces deux classes avaient cessé d'être «fondamentales» depuis au moins trois siècles.•• Boukharine, qui ne s'estimait aucunement tenu de connaître les travaux d'historiens marxistes tels que Ciccotti ou Barbagallo, avait sa prop~e version des causes de la chute de l'Empire roma1n : «Il y eut d'abord des guerres civiles et e~uite, ni les D?-aîtresvainqueurs ni les esclaves vaincus ne s'averèrent capables de faire avancer la société. » Pourtant, dès la fin du 11° siècle, le système esclavagiste est abandonné à cause de la diminution constante du nombre des esclaves, et la majeure partie des terres labourables est a~ mains des colons libres et des petits propriétaires indépendants que l'État va bientôt lier à la glèbe : la tension «fondamentale », sous le B~-Empire, n'est plus entre maîtres et esclaves, mats entre agents du fisc, grands propriétaires 32. K. Kautsky : Der Weg %UT Macht, 1909, p. 6433. N. Boukharine : La Thlorie du matmalisme hinoriqru, pp. 325-6. Biblioteca Gino Bianco 151 e~ paysans acculés au servage. D'autre part, rien de plus trompeur que l'image d'une société immobilisée par l'arrêt de la lutte des classes. Comme le dit F. Lot, « rarement société a subi a~tant d7 b~u!eve:5ements que dans le demisiecle qw swvit 1avènement de Dioclétien » 34 . ' d' h ' mais c est en aut, non d'en bas, c'est des forces extra-économiques de l'E~t et de l'Eglise, non ~e.s. c~asses, prop~eme~t dites, que vinrent les iru~atlves revolut1onnaires qui fixèrent les instit~t;ons !~ plus, caractéristiques - palais sacralise, religion d Etat, bureaucratie et «nouvelle class7 » sacerd~tale, servage, etc., que le BasE~pire transmit à Byzance, constituant ainsi le pomt de départ d'une histoire millénaire ... Mais Boukharine était le dernier marxiste à s'accrocher aux fictions «dialectiques» du Mani- ! este, le dernier aussi à croire à l' «objectivité » et à l'immutabilité des faits qu'il s'efforçait tant bien que mal de faire entrer dans ses schémas de Procuste, 9u'il:aurait voulu imposer à la reconnaissance uruverselle. Avec Staline, aussi bien le matérialisme historique que l'histoire matérielle changèrent radicalement de fonction. Non seulement la «dialectique» de la lutte de classes fut ~uvertement abandonnée au profit de construcuons de pl~ ~~ pl}ls mythologiques et mystifiantes, mais 1histoire elle-même se mit à se ~ssoudre da1;1S ~e espèce de rêve psychanalytique .d~ proJectlon ou de prospection analogue aux visions que provoque le test de Rorschach. Chez Staline, il ne s'agissait plus de présenter une interprétation du passé plus conforme aux faits, mais d'indiquer, dans une nouvelle «langue d'Esope », les côtés inavouables de la pratique présente et des projets futurs du régime. L'histoire comme tache d'encre V orcr, par exemple, la nouvelle version de la lutte des classes présentée par Staline en 1933 : ~ .révol~tion des esclaves fit disparaître les proP;Iétarr~s ~ esclaves ; ell_eabolit la forme esclavagiste d explo1tat1on des travailleurs. Mais elle mit à leur pla_celes féoda~ et le servage comme forme d' exploitanon des travailleurs. Les exploiteurs furent remplacés par d'autr~s e~loiteurs. La révolution des paysansserfs fit disparru.tre les féodaux et abolit le servage comme forme d'exploitation. Mais elle mit à leur place les capitalistes et les grands propriétaires fonciers, la forme d'exploitation des travailleurs par le capital et la grande propriété foncière. Les exploiteurs furent remplacés par d'autres exploiteurs ss. Si on nous affirme, disait Freud, que le centre de la terre est fait de marmelade, «nous ne penserons pas à la question elle-même: l'intérieur de la terre est-il fait de marmelade ou non, mais 34• F. Lot: La Pin du monde antique et le dlbut du Moyen Age, 1927, PP• 196-7. 3S· Staline : Les Questions du léninisme, édit. fr., 1947, II, 121. •

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