Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

• K. PAPAIOANNOU d'Aristonicos dans sa cité solaire de Pergame, on voit des personnages aussi douteux que le sophiste Aristion, qui incorpora le parti démocratique d'Athènes dans les troupes de Mithridate à côté de ses pirates de Cilicie qui ravageaient l'Archipel et de ses alliés barbares qui avaient pillé Delphes ... Lorsque César franchit le Rubicon, le néopythagoricien Nigidius Figulus annonça la fin du monde et la conflagration universelle : c'est à ce moment d'affolement que correspond l'image ambiguë de l' « effondrement simultané des classes en conflit» et le chaos qu'elle laisse entrevoir. Toutes les classes étaient alors à terre : les patriciens, exterminés par la terreur marianiste, aussi bien que les chevaliers, anéantis par les pro- · scriptions de Sylla, et la plèbe urbaine privée de chefs, avilie par la vente des suffrages et le parasitisme. Mais le second terme de la formule marxiste n'est pas moins trompeur que le premier. Si, au bout de deux siècles de troubles révolutionnaires et de guerres impérialistes, il y eut « effondrement des classes en conflit», ce ne fut guère au profit du chaos, mais d'un nouveau principe d'ordre à la fois international, politique et social : le césarisme. A partir de la paix d'Auguste, la négativité devient ou redevient inopérante ; l'Empire ne connaîtra pas de vastes révoltes serviles et n'aura pas à affronter des plèbes révolutionnaires. C'est d'en haut que viendra « le mouvement qui fait l'histoire» : c'est l'État qui, sous Néron et sous Tibère, se dressera contre les latifundiaires sénatoriaux et c'est l'appareil bureaucratiqùe et militaire de l'État qui, des Sévères à Constantin, aura le dernier mot. cc Mauvais côté » de la société médiévale ÉGALEMENT STÉRILE a été l'opposition des serfs et des seigneurs féodaux, la troisième forme historique de la lutte des classes selon le Manifeste. Et Marx ne s'est pas davantage gêné pour passer l'éponge sur le cc mauvais côté » de la société féodale. cc Les grands soulèvements du Moyen Age, dit-il, partirent tous de la campagne, mais restèrent tous sans le moindre résultat à cause de l'éparpillement des paysans et de l'inculture qui en résultait 25 • » Adam Smith avait déjà expliqué par l'éparpillement des paysans leur incapacité de « combiner leurs forces» et d'acquérir « l'esprit corporatif» 26 • Smith ne partageait nullement le mépris affiché par ses contemporains pour la « bêtise » et l' cc ignorance »des paysans 27 • 11voulait uniquement attirer l'attention sur l'absence, qu'il jugeait déplorable, d'une institution paysanne analogue à celles qui avaient permis aux artisans des villes de former leurs apprentis. Mais chez Marx le 25. DI, p. 50 (VI, 205). 26. Adam Smith : The Wealth of Nations, 1910, I, 115. 27. Ibid., I, 116. Biblioteca Gino Bianco 149 cc crétinisme» et l'éparpillement des paysans deviennent des facteurs tout-puissants qui les rendent incapables de former une classe au plein sens du terme 28 et les frappent même de stérilité historique. S'il ne se met d'emblée à la remorque des classes citadines les plus avancées, l'activisme paysan ne peut, selon Marx, qu'avoir les conséquences les plus néfastes : ou bien il mène tout droit au despotisme bureaucratique, et alors l'asservissement de la société tout entière sera la « revanche de la campagne sur la ville », ou bien il aura un caractère « objectivement» et fatalement cc réactionnaire». Ainsi Engels montrera-t-il que la guerre des paysans ne pouvait qu'aboutir au renforcement de la féodalité. Or, à en croire les bons auteurs, on aurait tort d'attribuer la défaite des paysans à la simple supériorité militaire des féodaux. C'est ce qu'affirme Lukacs dans son jargon : Quand le marxiste hongrois Erwin Szabô s'élève contre la conception qu'a Engels de la grande guerre des paysans comme d'un mouvement réactionnaire dans son essence, et oppose à cette conception l'argument suivant, à savoir que la révolte paysanne ne fut vaincue que par la force brutale, que sa défaite n'était pas fondée dans sa nature économique et sociale, dans la conscience de classe des paysans, il omet de voir que la raison dernière de la supériorité des princes et de la faiblesse des paysans, que la possibilité donc de la violence du côté des princes, doit justement être recherchée dans ces problèmes de conscience de classe, ce dont l'étude stratégique la plus superficielle de la guerre des paysans peut facilement convaincre tout un chacun 29 • Il s'agit là d'une version caricaturale du fétichisme hégélien du fait accompli: d'après ce raisonnement, la victoire des Mamelouks sur les sujets de Saladin ou celle des Janissaires sur les défenseurs de Constantinople auraient été dues à une épiphanie de la « conscience de classe»..• Quant à l'opposition des maîtres et des compagnons à l'intérieur des corporations médiévales, la quatrième forme historique de la lutte des classes dont il est question dans le Manifeste, on voit mal comment Marx a pu lui prêter le dénouement qu'exige la cc dialectique». Mais, là encore, Marx rie s'est-il pas laissé duper par ses alternatives apocalyptique~ ? Comme il a pris grand soin de le· souligner... •..Les compagnons et les apprentis étaient, dans chaque métier, organisés de la façon qui répondait le mieux à l'intérêt des maîtres. Le rapport patriarcal où ils se trouvaient avec leur maître donnait à celui-ci une double puissance : d'abord par son influence directe sur toute la vie des compagnons ; ensuite, parce que, par l'intérêt qu'ils avaient à devenir eux-mêmes patrons, les compagnons étaient liés à l'ordre existant. Tandis que le bas peuple en vint du moins à des émeutes qui, 28. Cf. nos études cr Marx et le despotisme» et cr Marx et l'État moderne », in Contrat social. 29. G. Lukacs : Geschichte und Klassenbewusstsein, p. 64 (trad. fr. p. 75).

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