148 d'abord, la plèbe n'est. pas ~e classe sociale engendrée par-l'écononne, mais une 1:11assp~roduite par la conquête dans laquelle trots élements de tendances et d'intérêts divergents se trouvent juxtaposés: les riches, qui reven~quent l'ég~té civile et politique avec le patnctat ; ,Ie.s pet1ts propriétaires ruraux accablés par _le regime des dettes ; le proléta~iat . urbain, 9ui réclame des terres et des distnbut1ons de vivres. Si la plèbe réussit à forcer les portes de la cité, c'est avant tout aux imprescriptibles exigences de l'expansion militaire qu'elle dut sa victoire définitive. Les plébéiens ayant habilement exploité les difficultés que présentait le recrutement des légions, Rome réussit là où échouèrent tout~s les autres cités de l'Antiquité et devint la capitale d'un État territorial dont la population citoyenne s'élevait dès le 111 8 ~iècle.à un million d'individus. En ce sens, T1te-L1ve et Denys d'Halicarnasse, Machiavel et Montesquieu avaient entièrement raison de voir dans les luttes de la plèbe la cause majeure de la liberté et de la grandeur de Rome. Mais quid de Marx? Déjà au ive siècle, l'antithèse entre pauvres et riches avait pris plus d'importance que celle entre patriciens et plébéiens. Rome était gouvernée par une noblesse patricio-plébéienne, tandis qu'à l'autre bout de l'échelle, paysans endettés et prolétaires urbains étaient en proie à une agitation sans cesse croissante. Jamais celle-ci n'a eu la fécondité que lui impute la cc dialectique ». Et Marx, avec l'étonnante facilité qu'il avait de passer d'un excès à l'autre, n'a pas· manqué de le souligner : Dans le monde antique, le mouvement de la lutte des classes a surtout la forme d'une lutte entre créanciers et débiteurs, et se termine à Rome par la défaite et la ruine du débiteur plébéien, qui est remplacé par l'esclave 23 • Déjà, dans l' Idéologieallemande, nous trouvons les mêmes simplifications schématiques : cc Placés entre les hommes libres et les esclaves, les plébéiens ne dépassèrent jamais le prolétariat de gueux 24 • » Encore une fois, on serait tenté de reprocher à Marx d' « éliminer l'histoire». Mais il n'en reste pas moins que le « mauvais côté » de la société romaine n'a jamais pu, là encore, « l'emporter sur le côté beau ». Ou plutôt, chaque fois que, pendant la période ascendante de la plèbe, la question sociale était tranchée en sa faveur, c'était non par un renversement révolutionnaire ·et l'instauration d'un << nouveau et supérieur » mode de production, mais par l'allégement des dettes et des assignations de terres. Ce n'est pas le dynamisme éeonomique qui arrêta ce mouvement cc réformiste », mais la chute du parti plébéien, tenu pour responsable des défaites de 23. Das Kapital, éd. Dietz, 1951, 1,. 141. -. 24- Dl, p. 19 _(VI, 237). Biblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL Trasimène et de Cannes, et son incapacité à concurrencer l'oligarchie séna!oria,le__dans 1~ direction des grandes guerres 1mper1alistes qw suivirent. Ici, le marxisme est doublement trompeur .. · Tout d'abord, son schéma bipolaire, qui ne connaît que la lutte cc verticale '>> entre dirigeants . et exécutants (représenté~_iciavec plus, ou _moins de bonheur par l'oppos1t1onentre creanc1ers et débiteurs), laisse de côté le ~:m,d conflit cc horizo~- tal » qui, dès la fin ~u 111° s1ecle,OJ?p_osles capitalistes de l'ordre equestre à la vieille noblesse sénatoriale. Parallèlement aux terribles révoltes serviles de Sardaigne et de Sicile et en même temps que les luttes de plus en plus chaotiques entre sénateur~, chevaliers et plébéiens romains, un autre conflit déchirait l'Italie : les Italiens exigeaient le droit de cité qui leur permettrait de . bénéficier des lois agraires réclamées par la plèbe. ~' e~t,de ce!te contradiction gue C. Gracchus avait ete la v!ctime : il voulru.tà la fois le partage du domame public au bénéfice de la plèbe et l'extension du droit de cité qui réduirait à proportion les parts de celle-ci. Seul César fut assez fort pour rompre ce cercle vicieux. Encore fallut-il que les forces de ces classes avides de privilèges, voire de sousprivilèges, se fussent épuisées dans les atrocités d'un siècle de guerres civiles, « sociales » et impérialistes. Dégénérescence de la lutte des classes Au COURS de ces luttes gigantesques, dont l'enjeu était l'unification du monde méditerranéen et qui avaient l' oikouménè tout entièr~ pour théâtre, la lutte des classes se vidait progressivement de tout contenu réel. Déjà, l'unique résultat concret des luttes de C. Gracchus avait été d'assurer l'impunité judiciaire aux publicains et de leur livrer les malheureuses provinces qu'ils cc vidaient jusqu'à l'épuisement »,' selon le mot de Cicéron. Mais en Grèce, devenue terre d'élection de la lutte des classes, celle-ci avait depuis longtemps déjà dégénéré en une guerre de cinquièmes colonnes. Les oligarques s'étaient ouvertement inféodés à Rome et acclamaient Sylla, le pilleur d'Olympie, qui devait ruiner le pays; tandis que les démocrates plaçaient leurs espoirs en Mithridate, le roi du Pont qui faisait alors figure de « Père des peuples» et dressait contre Rome l'arme de la guerre révolutionnaire qu'Ephèse avait · déjà employée contre lui. La dégénérescence n'avait pas même épargné les dieux et les héros. Dio- . nysos, le favori de Pisistrate et des Orthagorides, .était devenu le patron de Mithridate et de Marc- .Antoine, lequel avait projeté de raser le Péloponnèse pour le rendre inutilisable aux armées d'Octave. Et, à la place des grands stoïciens révolutionnaires comme Sphairos, le conseiller de Kléomène III à Sparte, ou le noble Blossius, l'ami de Tib. Gracchus, qu'on retrouve aux côtés
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