Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

K. PAPAIOANNOU la lutte entre les maîtres et les esclaves, les patriciens et les plébéiens, les seigneurs et les serfs, les maîtres et les compagnons n'a abouti à une « transformation révolutionnaire » de la société et à l'instauration d'un « nouveau et supérieur» mode de production. Quant à la perspective d'un « effondrement simultané » des classes en lutte, elle n'est qu'une figure de rhétorique dont on chercherait en vain la moindre confirmation historique. Maîtres et esclaves LES NOMBREUSXOULÈVEMENdT'eSsclaves que connut l'Antiquité furent tous écrasés, ce qui _ ne signifie pas que le régime esclavagiste fut pour autant menacé d' « effondrement simultané ». D'autres textes nous montrent d'ailleurs combien peu de crédit Marx lui-même accordait aux constructions pseudo-historiques du Manifeste. Dans l'ancienne Rome, dit-il. .. .. .la lutte des classes ne se déroulait qu'à l'intérieur d'une minorité privilégiée, entre les libres citoyens riches et les libres citoyens pauvres, tandis que la grande masse productive de la population, les esclaves, ne servait que de piédestal passif aux combattants 20 • On serait tenté de reprocher à Marx de « se poser l'absurde problème d'éliminer l'hi~toire », si le caractère sommaire de ces affirmattons ne décourageait la discussion. En fait, le « mauvais côté » de la société esclavagiste ne fut pas aussi passif que Marx le pensait. Les armées serviles d'Aristonicos eurent la gloire de battre une armée consulaire et celles de Spartacus rame- . nèrent à Rome les terreurs de la campagne d'Annibal. Il n'est pas davantage vrai que l'esclavage soit resté « à la base de toute la production» tout au long de l'histoire antique 21 • S'il n'y -a pas eu de révolution d'esclaves victorieuse, il y a eu en revanche extinction progressive de l'esclavage. Les affranchissements massifs étaient devenus un trait saillant des derniers temps de la République. L'esclavage a décliné avec la disparition de la cause qui le fit naître, et celle-ci n'était pas le développement des forces productives, mais la guerre. Lorsque les guerres de conquête prirent fin, la population servile diminua rapidement, d'autant que les esclaves _se reproduisaient beaucoup moins que les travail- . leurs libres. Simultanément, le prix des esclav~s ne montait guère : c'est que l'usage en deve-!1a1t toujours plus rare. ·L'élément libre se substitua progressivement aux esclaves dans l'exercice des métiers et dans les campagnes le petit colonat devint la forme économique prédominante. Bref, il n'y eut ni transformation révolutionnaire ni effondrement apocalyptique, mais extinction de 20. Préface de 1869 au 18-Brumaire. 21. Dl, p. 19 (VI., 237). Biblioteca Gino Bianco 147 la classe servile qui disparut sans avoir démontré les capacités historiques que lui impute la « dialectique ». Patrons et clients UN PROCESSUanSalogue caractérise l'évolution de la société gentilice. Comme il a déjà été indiqué, le « mauvais côté» de la société patricienne n'était pas la plèbe, mais les clients - classe de serfs héréditairement attachés aux gentes, passée pudiquement sous silence par Marx et surtout par Engels dans sa malheureuse tentative pour accueillir la gens romaine dans !'Eldorado iroquois de Morgan 22 • Or il n'y a jamais eu d'insurrection de cette classe, qui n'est pas même arrivée à réaliser un « front unique» avec la plèbe. En 472 avant J.-C., quand les clients formaient encore la majeure partie de la population, la plèbe se plaignait que, par leurs suffrages dans les comices centuriates, ils fissent pencher la balance du côté des patriciens. L'émancipation graduelle des clients fut bien davantage le résultat de l'extinction de la gens que de leurs propres efforts. Ce qui amena la désintégration de la gens n'est pas la révolte des clients, mais l'affranchissement des branches cadettes, l'abolition du droit d'aînesse et l'influence corrosive du nouveau milieu économique créé en dehors des gentes. Là aussi ce sont les moins privilégiés, non les opprimés, qui ont déclenché la lutte et fait l'histoire. Au vie siècle, 4.000 hoplites assuraient la domination absolue de 25.000 Spartiates, hommes, femmes et enfants, sur 250.000 hilotes et 100.000 périèques. C'est à peu près dans le même rapport numérique qu'ont dû alors se trouver les 160 familles patriciennes de Rome en face des clients et des Latins; et pourtant, malgré son écrasante supériorité num!riqu~, la ~lasse expl?itée _n'a pu jouer le rôle ~evol~nonnair~ que lw assi~e le marxisme. Mais, demembrees, les gentes disparaissaient l'une après l'autre, entraînant l'émancipation corrélativ~ des clients qui allaien! ~rossir les rangs de 1~ pl~be. Sur 61, gentes p~tricie_nnes, d'existence historique attestee, 37 disparaissent dans les I 50 années qui suivent l'expulsion des Etrusques : dans ~a seconde ~oitié du ive siècl~, on ne distingue plus les trois classes des patriciens des clients et des plébéiens. Il n'en reste phis 'que deux, et les clients, fondus dans la plèbe, partageront désormais son destin. Patriciens et plébéiens FÉCONDEdans tous les sens, sauf dans celui de la « dialectique », la lutte sé~ulai~ede !a plè~e n'aboutit ni à une transformation revolutionnaire ni à un effondrement catastrophique. Tout 22. F. Engels : L'Origin, d, la famille •••, 1948, p. 160 : • Nous laissons de côté ici la question des clients. •

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