K. PAPAIOANNOU au développement agricole et industriel de la nation » 11 • La Grèce du vn° siècle présente un des rares exemples de révolution sociale consécutive à l'essor de l'économie. Mais encore une fois, il serait absurde d'attribuer le déclin des Eupatrides à la dialectique immanente du régime gentilice. Ce régime, qui asservissait la masse des paysans à une poignée de familles nobles « aurait pu durer indéfiniment », remarque Gustave Glotz 12 , si une foule de plus en plus nombreuse d'hommes nouveaux : armateurs, commerçants, artisans, établis en dehors des clans, ne •S'était pas présentée pour contester à la noblesse terrienne son hégémonie. Bref, le régime gentilice ne s'est pas effondré sous le poids de ses propres richesses ; il a littéralement dépéri sous l'influence corrosive de cette nouvelle classe « chrématistique » à .laquelle !'inaliénabilité de la propriété gentilice et le colonat partiaire fermaient l'accès à la richesse foncière. Il s'y ajoute que cette classe montante aurait pu fort bien coexister dans un état de symbiose plus ou moins querelleuse avec les grands propriétaires terriens, comme ce fut toujours le cas en Asie, et comme Milet, la plus industrieuse des cités grecques, en offrait l'exemple. En outre, réduits à leurs propres forces, les paysans expropriés auraient été immanquablement écrasés par les Eupatrides si une transformation décisive de l'art de la guerre ne fût venue opportunément modifier en leur faveur le rapport des forces : à partir de la deuxième guerre sparto-messénienne, le cheval de guerre, attelé ou monté, qui assurait la suprématie de la noblesse dans les combats, se fait détrôner par la phalange massive des hoplites lourdement armés et disciplinés. Or, contrairement à la théorie de Engels, qui fait dériver la suprématie militaire de la supériorité économique, cette innovation, qui a démocratisé la « sidérophorie » monopolisée jusqu'alors par la cavalerie noble, s'était opérée tout à fait indépendamment de l'évolution économique et sociale. C'est de Sparte qu'est venue cette force réellement «nouvelle et révolutionnaire » - de Sparte où le commerce et l'industrie, sévèrement bannis par les lois, n'existaient pas, ou bien devaient se cacher. Si e~ Occident, comme le dit Fuller, le fantassin a fiut le démocrate, en Grèce l'hoplite a fait le paysan libre, qui a fait le citoyen : la révolution agraire des poleis à l'époque des tyrans a été rendue possible, non par une forme nouvelle de 1~division du travail, mais par une transformation «qualitative» de la technologie militaire. I~i aussi Aristote a été beaucoup plus « matérialiste » que Marx. Indiscutablement originale, mais dérisoire., la théorie marxiste des conditions « objectives » II. J. Breasted : Hi1toire de l'Égypte ancienne, trad. fr., Paris 1926, I, 220. 12. La Cit4 grecque, 1928, p. 118. Biblioteca Gino Bianco 145 de la révolution n'est qu'une « illusion perspectiviste » derrière laquelle se cache une hypothèse d'avenir qui attend encore sa confirmation; à savoir, l'hypothèse que le fonctionnement même du régime capitaliste tend en fin de compte à sa propre destruction., et aussi à la création des conditions matérielles permettant au prolétariat., et à lui seul, de renverser la domination bourgeoise et d'accéder au pouvoir. C'est à cette double anticipation, largement démentie par les faits, que nous devons les généralisations abusives du « matérialisme historique» et en particulier l'image de plus en plus mythologique que Marx et ses disciples se sont faite du rôle historique des classes exploitées et de la fécondité de leurs · révoltes. La classe révolutionnaire C'ESTpar sa conception dialectique de la négativité incarnée dans la classe exploitée que Marx se distingue de ses prédécesseurs bourgeois ou socialistes. Comme il l'a dit lui-même, longtemps avant lui les économistes bourgeois avaient esquissé une interprétation purement économique des classes et décrit avec plus ou moins d' exactitude les différentes formes et étapes successives de l'exploitation et de la lutte des classes entre elles. Mais personne avant Marx n'avait songé à attribuer à la classe exploitée la puissance démiurgique que lui confère le marxisme. La reconnaissance de la « nécessité de l'antagonisme » 13 , l'exaltation du rôle «révolutionnaire » de la misère deviennent chez Marx une véritable pierre de touche, un article de foi, et forment le critère essentiel qui permet au marxisme de se définir par opposition aux idéologues bourgeois aussi bien qu'aux doctrinaires «utopistes». Ce n'est pas la misère de la classe exploitée qui intéresse Marx ; il commencera même par dénoncer l' « illusion » humanitariste, qui consiste à «ne voir dans la misère que la misère» u. L'indignation philanthropique est peut-être valable quand l'antagonisme des classes demeure latent : tant qu'on n'en est encore qu' « au début de la lutte», on peut s'interdire toute perspective d'avenir et ne pas voir dan~ la misère « le côté révolutionnaire subversif, qui renversera l'ancienne société». Mais à mesure que les contradictions immanentes à tout régime fondé sur l'exploitation de classe apparaissent au grand jour, le caractère illusoire de toutes les «idéologies » saute aux yeux. Au moment même où la réalité se plie à la « nécessité de l'antagonisme» et dévoile le côté subversif de la misère, les idéologues tournent le dos à l'histoire et se réfugient dans le cynisme ou dans les récriminations morales. Aussi les uns se contentent-ils de rester 13. MPh, p. 99. 14. Ibid., p. 100.
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