Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

144 s'appuient pas sur « une force productive ~?uvelle et révolutionnaire». C'est donc l'apparition de « nouvelles et révolutionnaires » forces .de production qui provoque l'é~roulement de l'an~1~n régime et permet ch~q?~ f01sà 1~ classe explo1tee de sortir de sa passtvite pour s affirme~ comme une force historique indépendante agissant et existant « pour elle-même » 7 • Voici la première .expositi~n. systématique, âe cette conception vraunent onginale de la revolution sociale : Une classe opprimée est la condition vitale de toute société fondée sur l'antagonisme des classes. L'affranchissement de la classe opprimée implique donc nécessairement la création d'une société nouvelle. Pour que la classe opprimée puisse s'affranc~, il faut que_ les pouvoirs productifs existants ne puissent plus exister les uns à côté des autres. De tous les instruments de production, le plus grand pouvoir ,prod~cti~ est la classe révolutionnaire elle-même. L orgarusat10n des éléments révolutionnaires comme classe suppose l'existence de toutes les forces productives qui pouvaient s'engendrer dans le sein de l'ancienne société 8 • Nous retrouvons ici le fascinant postulat « totaliste » de la Préface à la Critique de l' Economie politique : aucune société ne disparaît avant d'avoir réalisé et épuisé la cc totalité» de ses capacités productives. Il a déjà été indiqué que cette conception organique des cc con~ti?ns objectives » de la révolution est en contradict!on ouverte avec la théorie marxiste de la stagnation précapitaliste : aucune des so~iétés préin~us~ trielles connues de Marx ne s est effondree a cause de la surabondance des forces productives qu'elle avait accumulées. De plus, elle est fausse : aucune des révolutions connues de Marx ne peut être décrite en termes de conflit entre. les forces productives et les rapports de productton. Sur ce point, les précisions ne font qu'aggraver notre malaise : C'est le degré de développement de la division du travail qui montre de la façon la plus évidente jusqu'à quel point sont développées les forces productives d'une nation. Toute nouvelle force productive, en tant qu'elle n'est pas une extension purement quantitative des forces productives déjà connues (par exemple le défrichement des terres), entraîne un nouveau développement de la division du travail 9 • Il est évident que ce critère du développement « qualitatif» des forces productives est inapplicable aux mouvements révolutionnaires du passé qui furent presque tous centrés sur le problème de la possession de la terre, force de production immuable et immobiliste s'il en fut. La stagnation de l'agriculture jusqu'au x1xe siècle n'a jamais empêché le partage révolutionnaire des 7. Marx: Misère de la philosophie, Paris 1947 (titre abrégé: MPh), p. 134. 8. MPh, p. 135. 9. Dl, p. 17 (VI, 252). Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL terres (ni d'ailleurs les retours de la grande propriété). Les lents, imperceptibles progrès des techniques agricoles ~e furent pour rie~ _dansle succès des lois agraires de C. Flamtruus (ou dans l'échec de celles des Gracques). Les cent mille nouvelles propriétés rurales créées par César ne représentaient qu'un accroissement purement cc quantitatif» des forces productives : elles n'en ont pas moins été décisives pour la renaissance de l'agriculture italique et la paix sociale. Ni l'introduction du moulin à eau hellénistique ou de la tfibula (batteuse) afri~e, · ni l'adoption ~e l'araire à roues .et d~s moisson: neuses mécamques des Gaulois n ont fourru aux paysans du_Bas-Empi~e les «. forces n?uvelles et révolutionnaires » dont ils avaient besom pour ~ résister aux exactions des agents du fisc et aux pressions des latifundiaires : c'est manifestement à d'autres armes que leurs ancêtres devaient leur indépendance et leur pro~~érité. D'une manière générale, dans les conditions .du précapitalisme, le statut de la terre a essenttellement été une question de pur rapport de forces : ce n'est pas le « moulin à bras», c'est le cheval de guerre qui a presque _partout asservi les paysans. Le seul pays de l'antiquité méditerranéenne où le concept prométhéen de développement des forces productives cesse d'être une abstraction et désigne réellement une préoccupation constante et efficace, est bien l'Egypte des pharaons (et aussi des Lagides). Paradoxalement, le progrès économique y fut l'œuvre de la seule classe que Marx s'est obstinément refu~é à reconnaître comme telle : la bureaucratte 10 • L'élan qu'elle a manifesté tout d'abord en unifiant les deux pays, dont les tendances séparatis~es se réveilleront à chaque carence de l'aut~nté centrale, elle en fit encore preuve en orgamsant de gigantesques travaux d'irrigation et de mise en valeur. L'asséchement du Fayoum sous la xu0 dynastie nous en donne la mesure. Pendant des siècles (trois siècles du temps des III 8 et ive dynasties, deux sous la xue, deux sous la XVIIIe), la bureaucr~tie fais~t l'~té. et _lapr~spérité du pays. Pws son regne declinait, ~é non par le développement des forces producttves, mais par la puissance grandissante des temp!es transformés en seigneuries féodales. La cnse finissait toujours, non par l'instauration d'un << nouveau et supérieur » mode de pr~ducti~n, mais par le morcellement du pays et la regress1on économique. Comme dit Breasted à prop?s ~e la fui de la xue dynastie, « le manque d umté dans la direct.ion du service d'irrigation dont la royauté avait doté le pays, élevant ce servie~ à la hauteur d'une institution d'Etat, non moms que l'instabilité générale des conditions politiques, constituaient un obstacle insurmontable 10. Cf. notre étude « Marx et le despotisme •, in Contrat social, janvier 1960.

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