L. EMBRY que le plus élémentaire bon sens commande par conséquent de laisser les morts enterrer les morts et d'aller avec les vivants. Cette vue des choses se répand-elle parmi des peuples impatients de mieux vivre et très disposés à l'adoration de la magie moderne ? Il n'existe aucun moyen de s'en rendre compte avec précision. Il semble cependant que partout où le communisme enregistre des succès, par exemple à Cuba, c'est pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'exploration du cosmos; la politique ne s'est pas encore réadaptée clairement aux spéculations futuristes. TOUT CELA vaut pour le présent ; il est permis maintenant, sans se livrer au jeu déréglé des anticipations, d'entrouvrir la porte de l'avenir immédiat. Les thuriféraires du communisme se plaisent à tracer un schéma qui abonde en fausses symétries. Selon eux la prépondérance anglaise fut fonction du charbon et de la machine à vapeur, ce qui lui donne un air de désuétude ; la prépondérance américaine, corrélative du pétrole et du moteur à explosion, serait en train de glisser vers le passé. Le nouveau champion a eu la sagesse d'élire parmi les facteurs de la puissance matérielle l'électricité, l'énergie atomique et les techniques qui en dépendent, ce qui le qualifie de toute façon pour la suprématie universelle. Nous ne prenons pas à la lettre ni au tragique cette histoire stratifiée ; la révolution industrielle définie par l'entrée en lice de la physique nucléaire, de la cybernétique et de l'astronautique n'est pas, à beaucoup près, propriété soviétique. Convenons néanmoins que les peuples qui ont ouvert la voie de l'industrialisation sont plus ou moins alourdis par le fardeau des outillages périmés et condamnés à une œuvre de conversion ou de rationalisation d'une extrême complexité ; convenons aussi que l'économie ultra-moderne nous entraîne vers des structures sociales dont il n'est pas très difficile de prévoir le sens général. D'un mot, on pourrait dire que l'économie moderne sera de plus en plus aristocratique. Les sciences qui la gouvernent et la gouverneront sont déjà telles que très peu d'hommes sont habilités à en assumer la gestion ; les techniciens en revanche vont devenir foule, mais ils ne seront que des spécialistes, des agents de maîtrise, des rouages dans un gigantesque appareil. Les comités d'experts et de savants qui, de plus en plus, se substituent aux directions administratives de type classique, vont étendre progressivement sur toute la planète leur domination secrète ou voilée. Si l'on suppose une évolution que ne viendrait troubler aucune catastrophe, on la voit se diriger non point vers un triomphe final du capitalisme ou du communisme, cette dialectique étant déjà très dépassée, mais vers celui d'une technocratie de plus en plus hiérarchisée, Biblioteca Gino Bianco 141 concentrée, systématisée. Par rapport à cette ascension, la politique traditionnelle, celle des partis ou des parlements, n'est plus que survivance et simulacre ; il ne reste en présence que les impératifs de la rationalisation technique d'une part et, de l'autre, les mouvements passionnels collectifs qu'on s'applique à susciter ou diriger, et dont le plus spontané serait encore celui qui s'exprime par le nationalisme. Nul doute que la nouvelle classe, très restreinte en nombre, des savants authentiques et des ingénieurs hautement compétents, s'applique d'instinct ou délibérément à développer les pouvoirs immenses qui lui sont dévolus, et c'est bien pourquoi il faut redire que la technocratie est une aristocratie ; mais ce qui influe sur l'équilibre des classes influe non moins nécessairement sur les rapports entre les nations. Il est un fait brutal avec lequel on peut ruser, mais qu'on ne saurait se dissimuler : en l'état présent du monde, le plein emploi des techniques, et notamment de celles qui conduisent à la conquête de l'espace, exige des conditions qui ne sont rassemblées qu'en deux pays, aux U.S.A. et en U.R.S.S. Les bénéficiaires de cet énorme privilège s'emploieront de leur mieux à le conserver ou l'accroître et, d'abord, en refusant toute communication de leurs secrets autant ou plus à leurs alliés qu'à leurs ennemis ; en ce monde où il n'est question que d'indépendance, les choses sont telles que toutes les nations, sauf deux, sont en fait placées en ll:11 état de dépendance et le seront de plus en plus, tant du moins que d'autres inventions ne viendront pas bouleverser les données actuelles. La Chine, par exemple, est engagée dans un effort frénétique pour s'équiper, mais, construisant des fonderies et des centrales électriques, elle ne fait que repasser par les chemins d'une industrialisation désormais subalterne; tant qu'elle ne se sera pas mise à la page - et l'on peut croire que personne ne l'y aide beaucoup, - elle restera, malgré ses six cent millions d'habitants, une puissance secondaire. Mais il faut aller plus loin et revenir plus précisément à l'astronautique. Perturbations de la vie matérielle, création d'un nouvel ordre social, décalage croissant entre notre vieille terminologie politique et les réalités d'aujourd'hui, ce sont assurément quelques traits de la révolution du.siècle ; mais pwsqu'il faut décidément admettre la probabilité, la proximité des voyages interplanétaires, n'en peut-il résulter une autre révolution, tout intellectuelle celle-là, susceptible de se manifester en des répercussions décisives ? On ne doit jamais oublier que le marxisme est une anthropologie, une philosophie complète de l'histoire et de l'homme; c'est pourquoi le matérialisme scientiste et l'athéisme en sont, non pas des corollaires ou des extensions facultatives, mais des pièces maîtresses. Cela posé et si l'on ne voit pas que les astronautes puissent conduire vers Mars ou Vénus des caravanes de touristes, ni rien faire qui soit
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