140 elles-mêmes en raison de la terreur qu'elles inspirent et de leur incontrôlable autonomie. Ces affirmations contradictoires sont également téméraires. Reste ce:pendant que les facultés et les effets des engms de destruction s'exerçant sur des cibles mesurables et circonscrites finissent par dépasser le but et qu'il en résulte d'étranges cercles vicieux. Les communistes prétendent par exemple que les fusées et les satellites artificiels surclassent irrémédiablement l'aviation stratégique, mais si l'on est, comme tout l'indique, en train de construire des avions dix fois plus rapides et peut-être bientôt des avions à propulsion atomique, l'équivalence entre les véhicules de mort sera rétablie. Si d'autre part on admet que, grosso modo, les objectifs éventuels sont à dix mille kilomètres des rampes de lancement et que la terre n'est pas dilatable, une fusée qu'on lance à vingt mille kilomètres devient évidemment inutile; il existe de la sorte une limite pratique, une limite d'efficacité qui ne se confond pas avec des évaluations numériques et qui est aujourd'hui atteinte par les deux camps. Ces brèves remarques ne visent qu'à montrer pourquoi l'équilibre des forces, en dépit des records déjà établis, n'est auc~ement rompu, pourquoi !'U.R.S.S. ne possède certainement pas « l'arme absolue», à supposer d'ailleurs que cette expression ait un sens. Les communistes auraient-ils vraiment conscience d'une décisive supériorité qu'on le verrait tout de suite au ton arrogant et comminatoire de leur diplomatie officielle; puisqu'il n'en est rien, on peut continuer à croire que la guerre générale n'est pas pour demain, que les armements sont des moyens de chantage et de dissuasion qu'on ne pense pas devoir utiliser bientôt. C'est la propagande qui demeure l'instrument royal de la guerre subversive ou de la préparation à la guerre ; elle s'oriente vers l'intérieur comme vers l'extérieur, elle se réfère à toutes les images capables d'impressionner les esprits. Qui ne comprenait pas la fonction pédagogique, le rôle moteur des inventions les plus récentes doit être· maintenant éclairé par le cérémonial du Premier Mai moscovite tel qu'il vient de se dérouler. Goring voulait faire de l'Allemagne une nation d'aviateurs et commencer naturellement par la jeunesse ; nous savons désormais que la Russie soviétique n'a plus pour fétiches la faucille et le marteau, symboles désuets dont le rayonnement s'éteint, mais la fusée et le vaisseau spatial, certes plus exaltants. Viennent d'être confirmées les épousailles solennelles qui doivent unir le « marxisme-léninisme» et la technique ultra-moderne conquérante du ciel et de la terre. On ne risque pas beaucoup de se tromper en proposant l'idée que la doctrine politique transformée en une scolastique inerte et rabâcheuse e~uie tout le monde, que les jeunes Russes la réatent du bout des lèvres et, même s'ils ne sont aucunement hérétiques1 s'en préoccupent fi.naBiblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL lement très peu. On se blase de tout et nous constatons bien chez nous, réserve faite pour le cas des « intellectuels » incurables, cette somnolence ou cette tiédeur qui gagne les milieux communistes ; les mêmes phénomènes mentaux doivent se produire en U.R.S.S. où manque par surcroit le ragoftt oppositionnel. Pour lutter contre les effets de cette torpeur, pour galvaniser les foules, quoi de plus expédient que de fomenter l'idolâtrie de la technique et, du même coup, d'un sport nouveau ? La révolution est le porteflambeau de la science, elle s'annexe les vertigineuses découvertes et prodigue des promesses non moins vertigineuses ; l'orgueil national, la volonté de puissance, l'enthousiasme dirigé vers des exploits extraordinaires viennent ainsi réchauffer une orthodoxie chancelante et verser l'hé- .. roïsme au cœur des citoyens. Il est présumable que, pour la masse et surtout pour les jeunes, Gagarine est dans tous les sens du mot bien plus vivant que Lénine. Est-ce à dire qu'il incarne une forme d'héroïsme capable d'entrer dans la légende ? On ne conteste pas son mérite, mais enfin si l'on compare le courage de l'homme qui risque sa vie en se fiant à une admirable science du calcul et de la construction mécanique au précurseur qui ne la risqua pas moins - et même beaucoup plus - en osant monter dans une pauvre montgolfière gonflée d'air chaud et livrée aux vents, on est bien en droit de conclure qu'il n'y a là nul progrès moral, nul dépassement des aventures antérieures. La nouveauté, qu'on appréciera comme on voudra, tient en ceci que le courage personnel est de plus en plus intégré dans un agencement mécanique d'une stupéfiante précision, l'astronaute étant, c'est bien le cas de le dire, lié à la machine et n'ayant plus rien d'important à faire dès l'instant qu'il est projeté dans l'espace. De même que le réseau des laboratoires et des usines qui forment l'infrastructure de l'astronautique ne peut être qu'un trust d'Etat, de même .les premiers astronautes ne seront rien de plus que des robots conscients. Les pionniers des grandes routes aériennes, un Lindbergh, un Costes, un Mermoz, marquaient encore leurs exploits d'une signature personnelle ; les explorateurs de l'espace sont des épiphénomènes ajoutés à une expérience qui se fait tout aussi bien sans eux. Ils font partie d'un montage. Y a-t-il là de quoi susciter des vocations ou entretenir l'enthousiasme ? Il va sans dire que l'orchestration des réussites spatiales de !'U.R.S.S. vise à séduire les peuples arriérés sans qu'il soit besoin de leur apporter une aide concrète comparable, même de très loin, à celle que fournissent les Etats-Unis. Point n'est besoin de faire intervenir ici des considérations relatives à la naïveté des foules, à la mentalité primitive, à la reviviscence des mythes ou des prophéties qui annoncent la conquête du ciel ; ce 9.ui·importe, c'est de prouver que l'Amérique décline tandis que l'Empire soviétique monte,
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