L. EMBRY posait nettement sa candidature à la prépotence mondiale. Conquête de l'espace ? Peut-être, mais en commençant par la terre. * )f )f POUR l'homme de la rue, les lancements de fusées et de satellites sont les épisodes d'une compétition américano-russe ; cette interprétation sportive est assurément simpliste, elle recouvre cependant une certaine vérité qu'il faut considérer en face. Il n'est point du tout démontré que !'U.R.S.S. conservera son avance - dans le domaine des expériences spatiales et nul ne peut préjuger des inventions qui viendront tout remettre en question. Tout en réservant la part du hasard, du génie, des efforts commandés par l'urgence, nous devons pourtant reconnaître qu'actuellement les Etats-Unis supportent un handicap tenant à leur nature même et qu'ils auront fort à faire pour compenser. Khrouc~- tchev se déclare sûr de vaincre parce que le capitalisme, si on l'en croit, ne saurait avoir la même efficacité industrielle et productive que le communisme. Il mêle habilement ou ingénument le vrai et le faux, et nous devons rétablir les distinctions nécessaires. Si l'économie d'un pays a pour tâche d'assurer le bien-être des habitants, le capitalisme mitigé d'aujourd'hui y réuss~t bien mieux que le communisme, preuve en soit entre dix exemples celui qu'a fourni le relèvement spectaculaire de l'Allemagne occidentale ; mais s'il s'agit de tout concentrer sur une production spécialisée qu'on estime décisive et qui mérite. que les. autres lui _soient sacrifi_ée~,al~rs on doit conventr que la dictature totalitaire ~spose de facilités que les autres peuvent envier . , . mats non pas acquerir. Or il est tout à fait clair que l'usage intensif des fusées à grande portée et grande vitesse exi~e des dépenses colossales sans aucune contrepame prévisible ; voilà donc une industrie qui se situe par définition en dehors de toute recherche d'un profit immédiat, en dehors de l'ordre capitaliste. Elle ne peut être qu'un monopole d'Etat ; encore n'est-ce pas assez dire, puisqu'elle n'est concevable qu'au sein d'un Etat disposant d'énormes ressources financières, ainsi que des .matières premières et de la main-d'œuvre spécialisée. La Russie peut se targuer d'être très bien placée au départ et son industrie la plus récente lui est en quelque sorte consubstantielle. P~u importe à ses dirigeants que le niveau de vt~ de .leu~s sujets demeure bien plus bas que celui des Occidentaux, s'ils espèrent qu'au. t'r~ d'un déséquilibre momentané, d'une mobilisation permanente impliquant pour tous un sévère ascétisme, l'avenir enregistrera leur triomphe. Il n'y a aucune raison de penser que les Etat~- U nis manquent d'argent, de sav~ts, de techniciens d'hommes courageux ; mais comment se proc~rer les avantages du dirigisme absolu, du choix dictatorial des moyens et des buts, du Biblioteca Gino Bianco 139 travail forcé, du secret, dans un pays où il faut compter avec les habitudes parlementaires et publicitaires, l'égoïsme capitaliste, l'effrayant gaspillage imposé par l'épicurisme gén~r~l ? Ce ~e serait possible que si chaque Americam avait d'ores et déjà le sentiment d'être mortellement menacé, de vivre dans une atmosphère de guerre ; alors seulement toutes les énergies pourraient se tendre, toutes les privations pourraient êti:e acceptées en vue du salut commun. On ne saurait trop réfléchir ~ _une signific~tive_inversion par~ tielle des positions resl?e~v~s .. Emer~eant _a peine du cha~s, la Russie, !ell:lll1ste, pws stabnienne convaincue que c etatt pour elle une questi~n de vie ou de mort, décida de rattraper à tout prix - certes, à tout _pr~ - le~ Etats capitali~tes, donc de s~ J?Ourv<?i_rdune pwss,ante industrie lourde desttnee prmcipalement a la production des armes ; que la misère et la servitude des masses aient fait partie des moyens et conditions de l'entreprise n'empêche pas qu'elle ait réussi dans une large mesure. Aujourd'hui, même si l'on ne prend pas à la lettre les .vantardises de Khrouchtchev, les Etats-Unis sont tenus de rattraper à leur tour, dans un secteur étroit mais important et prestigieux, l' adversaire qui a su prendre les devants; _l'argent sera bien nécessaire, mais aussi une polittq?e de relative austérité, une moindre compla1s3.1:ceaux intérêts privés, une discipline plus stricte, un acharnement muet. On sait que la guerre, qu'elle soit froide ou chaude, oblige toujours à prendre jusqu'à un certain point l'ennemi pour modèle. L'astronautique et les industries qu'elle suppose feront évoluer l'Amérique vers l'étatisme et l'on discutera bien vainement pour savoir si l'on doit prévoir en l'occurrence socialisme d'Etat ou capitalisme d'Etat, les différences devenant bien subtiles ou bien théoriques. * )f )f QUELS sont donc en définitive les enjeux réels ? Inutile de 1perdre son temps à commenter les nobles déclarations suivant lesquelles !'U.R.S.S. n'envisage que le bonheur d'octroyer à tous les ho~es les bé1;1éfic~ds 'un nouveau progrès des lumteres, leur ration d espace ou de firmament. ·On n'a jamais vu un grand Etat se consacrer à la philanthropie ou à la science pure et l'heure n'est sans doute pas venue de célébrer pareille épiphanie. Si brève qu'elle soit, l'histoire des fusées démontre surabondamment ce dont chacun n'est que trop assuré, savoir qu'elles sont d'abord des armes. On répète tous les jours que les deux plus grandes puissances détiennent l'une et l'autre le pouvoir d'anéantir l'humanité, d'où l'on conclut que nous allons vers un drame apocalyptique. Les . optimistes, part~_nt des mêmes prém1sses, soutiennent au contraire que la guerre est désormais impossible parce qu'on sait qu'elle ne pourrait êtte Unlitée1 les ~rmes s'amudant
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