ASTRONAUTIQUE ET POLITIQUE par Léon Etnery IL s'EN FAUT que le matérialisme historique puisse expliquer l'histoire ; personne ne songe cependant à contester son utilité, ni sa très relative . vérité. Lorsqu'on voit paraître avec une soudaineté fulgurante les engins qui s'affranchissent de la pesanteur terrestre et entreprennent ce qu'on définit pompeusement comme une « conquête de l'espace », on est tenté, contraint plutôt, de se demander ce que signifie pour les hommes d'aujourd'hui ce ·remarquable progrès de la technique. Tout en se gardant de délirer, ou de sacrifier à la badauderie, ou de s'associer à des campagnes de propagande, comme de s'aventurer sur le terrain des physiciens, des ingénieurs ou des auteurs d'anticipations, il est nécessaire de réfléchir aux origines de nouveautés légitimement admirées et plus encore à leurs incidences sociales, politiques et morales, dont les uns redoutent, et les autres espèrent, qu'elles seront très étendues. Cherchons quelques lumières en un passé récent. Il n'y a guère plus d'un demi-siècle que le monde s'intéressait aux expériences du camp d'Auvours où les frères Wright mettaient au point une sorte d'avion-joujou 9ue l'on catapultait dans l'air et qui parcourait ensuite trois ou quatre kilomètres par ses propres moyens. Blériot survole le pas de Calais en 1909 et c'est en 1927 que Lindbergh, ayant franchi l'Atlantique, fait monter vers lui une vague d'enthou- ·siasmeet une tempête de vaticinations optimistes dont il est fort instructif de retrouver la trace dans les journaux de l'époque. Sans doute le rapide développement-de· faviation avait-il été dû à la première guerre mondiale et les grands Etats s'étaient ainsi tournés ave_cempressement vers l'aéronautique; restaient pourtant des caractéristiques que l'on a lieu·.de regretter. Notons d'abord que l'aviation naquit en J>leine civilis~tiQn ocçidc;ntale,· que des·América11iet Biblioteca Gino Bianco des Français furent les protagonistes de sa jeune histoire. S'il est indubitable d'autre part que son emploi dans les combats lui valut les faveurs de tous les gouvernements, elle ne devint cependant pas un monopole étatique, elle s'inséra en tant qu'industrie nouvelle dans une économie semi-libérale. Les usines de matériel aéronautique, les compagnies exploitant des lignes postales ou commerciales, le tourisme aérien n'ont pas disparu de la scène ; il s'ensuit que ce qui touche aux problèmes de la circulation dans l'air prolonge tout naturellement l'essor de l'automobile, appartient en quelque sorte à la même formation historique, et n'a pu s'envelopper d'un secret propice aux coups de surprise. Que l'on jette maintenant un coup d' œil sur le processus de création des fusées porteuses, et l'on se sentira en présence moins d'un progrès régulier que d'une mutation technique, ellemême liée à des conditions très particulières. La fusée surgit de l'ombre en 1944 pour s'abattre sur les villes anglaises avec sa charge d'explosif; elle a été silencieusement préparée par l'Allemagne en guerre et elle lui aurait certainement donné la victoire si elle avait pu véhiculer la bombe atomique dont les ·nazis faillirent se doter les premiers. Pareille leçon ne pouvait être oubliée ; on ne court aucun risque à supposer que les états-majors et certains gouvernements concentrèrent assidûment leurs pensées sur l'arme nouvelle~sans que rien ou à peu près ne vînt à filtrer de leurs préparatifs. L'attention des peu- .ples put donc se détoume.r complètement de la fusée jusqu'en cette ·fatidique année 1957 où .elle fit sur le grand théâtre du monde une rentrée sensationnelle. Alors on s'aperçut que le foyer de la technique révolutionnaire avait dérivé vers l'Est, que le flambeau, le flambeau noir, passait des mains de l'Allemagne hitlérienne à celles de l'Union soviétique, que cettedemière
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