K. A. WITTFOGEL et il approuva chaleureusement l'assaut contre les nationalistes. En 1947, la divergence entre Staline et Mao fut une question de calendrier, ce qui n'était pas nouveau. Plusieurs fois déjà les dirigeants soviétiques avaient pris l'initiative, et certains de leurs renversements stratégiques s'étaient révélés ingénieux. En comparaison, la décision de Mao en 1947, si grosse de conséquences fût-elle, apparaît des plus simples. Elle ne place pas Mao au niveau du Lénine de 1906, 1917 et 1920, ou du Staline de 1932-33, 1939 et 1943. Si l'on examine son comportement de 1921 à 1949, on peut dire que, compte tenu de son initiative de 1947, pendant cette longue période Mao n'élabora. aucune stratégie nouvelle, mais excella à appliquer « de façon créatrice » une stratégie originaire de Moscou. Staline vieillissant semble avoir eu la main lourde à l'égard du nouveau régime de Pékin ; Mao, cependant, accepta l'autorité de Moscou jusqu'en 1953, bien que les communistes se fussent emparés de tout le continent chinois dès 1949, ce qui fit de Mao le partenaire cadet de l'axe Moscou-Pékin. Après la mort de Staline les choses changèrent du tout au tout : Mao était devenu le doyen des hommes d'État de premier plan dans la hiérarchie communiste internationale. Alors se posa un conflit d'ancienneté, les considérations d'ancienneté personnelle jouant en faveur de Mao, alors que l'antériorité socio-historique était à l'avantage du nouveau leader de !'U.R.S.S. De 1949 à 1953, Mao avait suivi les avis du . Staline de 1930 en passant par degrés à la collectivisation de l'économie paysanne (en termes · chinois, en allant de la « réforme agraire » à des équipes d'entraide, à des coopératives de production « inférieures », puis « supérieures »). Staline mort, Mao passa de la réforme agraire à la collectivisation intégrale beaucoup plus vite que Moscou ne l'avait fait; c'était sans doute le premier signe d'un rang nouvellement acquis dans l'orbite communiste. Autre signe : le peu d'empressement de Pékin à l'égard de la« déstalinisation». Lors de la collectivisation (1954-55), les communistes chinois continuèrent de saluer en Staline leur maître et leur modèle. Et tout en tenant compte du discours «secret » de Khrouchtchev, ils ne critiquèrent pas Staline aussi violemment que le firent leurs camarades des deux côtés du rideau de fer - probablement en raison du culte grandissant de la personnalité de Mao. A l'automne de 1956, quand la révolution hongroiseéclata, Pékin ne se gêna pas pour signaler les dangers du chauvinisme d'une grande nation, avant d'approuver Khrouchtchev d'avoir écrasé les combattants hongrois de la liberté. Quelques mois plus tard, sans doute dans l'espoir d'éviter pareille explosion en Chine, Mao suscita une manière de «petite Hongrie » en encourageant les intellectuels à parler franc. On ignore si c'est de sa propre initiative que la politique des « Cent Biblioteca Gino Bianco 135 Fleurs» fut lancée au printemps de 1957; ce qui est certain, c'est qu'il se montra en l'occurrence malavisé. Les clameurs amères des «Cent Fleurs » constituèrent la critique la plus précise, la plus circonstanciée jamais exprimée par d~s gens vivant sous la férule communiste. L'instauration des communes rurales, d'où les stimulants personnels étaient pratiquement éliminés, fut une tentative pour surmonter la crise de l'agriculture collectivisée (rendement faible et crise de main-d' œuvre) par un « grand bond en avant» vers un ordre «communiste» quasi militaire. Agir de la sorte, c'était faire fi des difficultés évidentes qui avaient été soulignées par Lénine et par Staline. L'échec catastrophique de la politique des communes première manière prouva qu'en attaquant de front les paysans, Mao faisait montre une fois de plus d'un piètre jugement stratégique. On peut en dire autant du récent conflit de frontières avec l'Inde, engagé sans prendre l'avis de Moscou et à l'encontre de la tactique de Khrouchtchev à l'égard des nations « neutres ». Les «Cent Fleurs », la politique des communes première manière, la querelle avec l'Inde, tout trahit chez Mao un comportement différent de la voie prudente qu'il avait suivie au cours des années 20 et 30. Cela transparaît également dans son attitude contradictoire devant la « coexistence pacifique» avec les puissances «impérialistes », proclamée il y a quelques années par Khrouchtchev et à laquelle ce dernier se tient encore aujourd'hui, non sans oscillations mélodramatiques. QUE SIGNIFIENT les dissemblances apparues entre Mao et Moscou ? Il est évident que cette question fait partie d'un ensemble plus vaste : la solidité réelle des liens institutionnels et idéologiques qui unissent la Chine rouge à l'U.R.S.S. Mao se targue d'être enraciné dans la doctrine marxiste-léniniste. Or il suit la doctrine telle qu'elle a été formulée dans les dernières années de la vie de Lénine .et s9us l'omnipotence de Staline. Cette version soviétique de la doctrine marxiste implique une méconnaissance totale des aperçus socio-historiques que Marx partageait ~vec les économistes classiques et qui le conduisirent à reconnaître la société asiatique comme un régime distinct se perpétuant lui-même, et à considérer le despotisme oriental comme un système de gouvernement semi-technocratique qui atomise les masses et les condamne à un « asservissement (étatique) général » *. • Cf. dans notre Contrat social, Karl A. Wittfogel : « Marx et le despotisme oriental,, (mai 1957); Paul Barton : « Du despotisme oriental• (mai 1959), « Despotisme et totalitarisme• (juillet 1959), « Despotisme, totalitarisme et classes sociales • (mars 1960).
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