Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

YVES LÉVY , et pour qui la démocratie tenait dans le spectacle kaléidoscopique des jeux parlementaires, notre régime actuel peut sembler moins démocratique que ceux qui naquirent en 1875 ou en 1946. Il l'est en réalité beaucoup plus. Et s'il fallait caractériser d'un mot la différence des systèmes, on pourrait dire que nous sommes passés d'une démocratie apparente à une démocratie imparfaite. Mais avant d'examiner comment l'on peut passer de cette imperfection à la perfection, il convient de s'arrêter à l'objection majeure de ceux qui cherchent la perfection dans la voie présidentielle. Peu importe, disent-ils, le texte de notre actuelle Constitution, puisqu'elle n'est · pas appliquée, et que seule la présence du général de Gaulle assure la survie du régime. La période de transition QUELQUREESPECqTu'on éprouve pour le général de Gaulle, quelque assuré qu'on soit de la place qu'il tiendra dans !'Histoire, il y a lieu d'être surpris lorsqu'on voit partisans ou adversaires lui attribuer ainsi des pouvoirs quasi surhumains. Il n'y a en effet pas d'exemple historique d'un prestige qui à lui seul ait permis à qui en jouissait de gouverner plusieurs années quelque pays que ce soit. Le général Bonaparte, dont le prestige était sans mesure, se hâta de faire consacrer son pouvoir par un texte constitutionnel et - comme César avant lui - au fur et à mesure que son autorité s'affermissait, il réformait ce texte pour y inscrire l'accroissement de sa puissance. Sous la 111 8 République, le prestige de Raymond Poincaré était considérable. Pourtant, lorsqu'il revint au pouvoir en 1926, il ne songea pas à remanier ces structures constitutionnelles dont l'effet, connu par une expérience renouvelée, était de limiter à quelques mois la vie d'un ministère : son prestige ne lui permit nullement de triompher de cette structure. A la fin de la deuxième guerre mondiale, l'immense prestige du général de Gaulle ne lui permit pas de demeurer au pouvoir plus de quelques mois après l'arrêt des hostilités. Tout cela nous oblige à conclure que, bien que le pouvoir exercé aujourd'hui par de Gaulle ne soit peut-être pas constitutionnel, c'est cependant la Constitution qui lui permet de l'exercer depuis près de trois ans. La chose est d'ailleurs aisée à comprendre. La Constitution a prévu un ensemble de mécauismes qui tendent tous à une même fin : empêcher l'Assemblée de renverser à la légère le gouvernement à qui elle a d'abord accordé l'investiture, et lui interdire de paralyser l'action gouvernementale. Si de Gaulle peut sans rencontrer d'obstacle majeur régler la politique française, c'est parce que la Constitution rend presque impossible à l'Assemblée et de renverser le gouvernement et de gêner sérieusement sa politique. Que M. Debré, en réalité, n'exerce que partiellement le pouvoir que lui attribue la Constitution, qu'il laisse au Président la responsabilité BibHoteca Gino Bianco 67 des choix fondamentaux, c'est une autre affaire, que nous allons examiner à présent. Mais il est tout à fait clair que c'est la Constitution ellemême qui, en protégeant le Premier ministre contre la versatilité de l'Assemblée, lui permet soit de gouverner, soit de laisser le Président exercer le pouvoir. LE POINTlitigieux se trouve donc essentiellement constitué par les rapports qui existent entre le Président et le Premier ministre. A vrai dire, on a aussi parlé de violation de la Constitution en deux ou trois occasions particulières, notamment lorsque le Président a refusé de convoquer le Parlement en session extraordinaire, et lors du débat sur la « force de frappe ». Ces deux affaires seraient l'une et l'autre très intéressantes à analyser, et la première peut-être plus encore que la seconde, bien que l'opinion publique et parlementaire ait été plus sensible à celle-ci : on tentait en effet d'y utiliser les mécanismes constitutionnels pour transformer l'Assemblée en groupe de pression. Mais la discussion de ces affaires nous entraînerait trop loin, et d'ailleurs il suffit de noter, d'une part que toute Constitution donne lieu à des interprétations diverses et à des infractions mineures, d'autre part que si l'Assemblée avait jugé tyranniques les actes du gouvernement, il lui était loisible de voter une motion de censure dans les formes constitutionnelles. Dans ces occasions, un bon nombre de députés de la majorité d'investiture ont amèrement protesté, qui n'auraient à aucun prix donné leur adhésion à une motion de censure. De même on voit, à Londres, des membres de la majorité s'opposer à la politique du ministère, et voter néanmoins pour lui selon la discipline dès que son existence est en jeu. Cela dit, revenons au Président et au Premier ministre, et demandons-nous pourquoi le premier est, en quelque sorte, devenu le maire du palais du second. C'est une question qu'il ne semble pas qu'on se soit posée. On a dénoncé le pouvoir personnel du général de Gaulle, on s'est, tout en condamnant la Constitution, indigné qu'elle soit violée, mais on .n'a pas cherché à comprendre ce qui s'est passé. Les faits ne sont pourtant pas difficiles à interpréter. Lorsque de Gaulle est arrivé au pouvoir, les structures politiques du pays traversaient une crise grave. Quoi qu'on pense de la façon dont les événements se déroulèrent et dont les principes durent s'accommoder des nécessités du moment, le point important c'est que la nation, dès qu'elle eut l'occasion de s'exprimer, manifesta massivement sa confiance au héros national en approuvant la Constitution qu'il lui proposait : si le vote de la nation ne signifiait rien quant à la qualité du texte soumis au référendum, il faisait en revanche connaître très clairement l'audience

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