Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

YVES LÉVY l'expression de régime parlementaire ne le caractérisait que de façon fort imparfaite. Il n'y a en effet pas de commune mesure entre le régime parlementaire anglais et celui qui était en vigueur chez nous. L'existence d'une majorité disciplinée ne permet pas à la Chambre des Communes de faire et défaire les gouvernements : cette assemblée, essentiellement, possède un pouvoir de contrôle. En fait, c'est le pays qui porte au gouvernement l'une des deux équipes qui se disputent sessuffrages. En France, l'absence constante d'une majorité parlementaire faisait obstacle à toute action directe du pays sur le choix des gouvernants. Les élections ne servaient qu'à transférer la souveraineté natio- .nale à un parlement anarchique, dont les couloirs alimentaient fort la chronique : c'est qu'ils étaient le lieu idéal des combinaisons et des intrigues, le champ d'action de l'ambition, du marchandage et des groupes de pression. Les inconvénients de ce système étaient si évidents que bien des gens, sous la 111° République, rêvaient d'acclimater en France le régime britannique. Mais il nous manquait l'essentiel, c'est-à-dire une majorité disciplinée. Quant au régime présidentiel, on l'a dit, il ne pouvait en être question. Et si ce dernier, sous la IV0 République, avait trouvé des partisans, ce n'est pas que les objections anciennes eussent été résolues, mais, semble-t-il, parce que le souvenir du DeuxDécembre avait vieilli, parce que la lassitude du régime en vigueur était plus grande, et aussi parce que, chaque fois qu'on a prôné le régime présidentiel, il y avait un homme qui semblait jouir, auprès de la nation, d'un prestige auquel les parlementaires n'étaient pas sensibles. C'était le cas en 1945 et en 1956. C'est le cas aujourd'hui de façon plus visible encore, au moment où aux réticences parlementaires s'opposent les résultats des référendums. Mais tout cela, qui explique comment est née et s'est répandue l'idée du régime présidentiel, ne démontre nullement que notre actuelle Constitution soit sans vertu et que le régime proposé possède celle que, non sans légèreté, on lui attribue. Ce sont ces deux points qu'on examinera maintenant. Le syllogisme constitutionnel LES ADVERSAIRES de la Constitution de 1958 semblent se référer à un syllogisme qui a, il y a quelques années, été exposé par l'un d'eux, ou du moins qui constitue l'armature réelle de son argumentation. La première prémisse peut s'exprimer de la façon suivante : le régime de la souveraineté parlementaire étant détestable, nous devons choisir entre le système anglais et le système américain. Voici maintenant la seconde prémisse : le système anglais ne peut s'appliquer que là où n'existent que peu de partis : cc plus d'un, mais moins de trois >> (sic), ce qui n'est pas le cas en France. D'où la conclusion : nous devons choisir le système présidentiel américain. Biblioteca Gino Bianco 65 Cette conclusion est malheureusement dépourvue de toute valeur, car le fait qu'une des solutions envisagées est impossible ne démontre pas que l'autre soit possible. En vérité, on dirait plus justement que, la France n'étant ni l'Angleterre ni l'Amérique, il n'est pas possible d'instaurer chez elle le régime de l'un de ces pays : c'est en général une étrange idée que de vouloir, sans préparation suffisante, transporter dans un pays des institutions étrangères. Mais à bien voir les choses, le défaut majeur du syllogisme proposé, c'est qu'il est le produit d'une conception statique des institutions. Si nous nous efforçons d'en apercevoir la dynamique, nous aboutirons à une conclusion assez différente. Reprenons donc notre syllogisme. La première prémisse exprime si fidèlement les leçons de !'Histoire qu'on peut l'accepter sans difficulté. Depuis près de deux siècles aux États-Unis, depuis plus de deux siècles en GrandeBretagne fonctionnent avec régularité des institutions qui tout à la fois satisfont les exigences de la démocratie et permettent aux dirigeants de gouverner avec continuité. Ces institutions sont si bien conçues qu'elles ont résisté aux crises les plus violentes et se sont adaptées à des mœurs nouvelles, à des sociétés profondément transformées. Elles sont d'ailleurs les seules à manifester de semblables vertus. Les institutions françaises, notamment, ont offert le spectacle d'une confusion qui ne donnait guère à la souveraineté nationale l'occasion de s'imposer ni aux dirigeants politiques celle de mener à son terme quelque conception politiqu~ que ce fût. Cela dit, il ne convient nullement de sedemander si l'on va transporter en France les institutions anglaises ou américaines - ce qui, supposé que la chose fût possible, n'aurait aucune chance de produire de bons résultats - mais si l'on doit choisir de préparer les conditions du régime britannique ou celles du régime américain. Or il se trouve que ce choix a été fait. La Constitution de 1958 n'est pas cette chose bâtarde et inanalysable que disent quelques-uns mais, comme nous l'avons déjà exposé (cf. Contrat social, sept. 1959), une tentative raisonnée pour instaurer en France les conditions qui règnent depuis longtemps en Grande-Bretagne. L'expérience est en cours et, contrairement à ce qu'on dit, niant l'évidence, elle ne donne pas de mauvais résultats, du moins sur le plan constitutionnel qui seul nous intéresse ici : peu nous importe en effet le jugement favorable ou défavorable que l'on peut porter sur l'activité politique de nos gouvernants quels qu'ils soient, notre .seul souci étant d'examiner si le gouvernement est stable et efficace, et si les institutions ont ce caractère démocratique qui assure la permanence d'un régime. Pour interrompre cette expérience, et commencer celle du régime présidentiel, il faudrait de solides raisons. Il faudrait notamment démontrer que notre système actuel fonctionne mal et n'est pas démocratique, et d'autre part que le régime

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