Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

fjUELQUES LIVRES Les différences entre vous et moi, écrit Gandhi le 17 janvier 1928, m'apparaissent si profondes et si fondamentales qu'il ne semble pas y avoir de terrain de rencontre. Je ne puis vous cacher ma peine à l'idée de perdre un camarade si courageux, si fidèle, si doué et si honnête ... Nous sommes depuis longtemps membres de la même famille et nous demeurons tels malgré tout ce qui nous sépare en politique. Mais à quelques mois de là il devait écrire : « Recevez mes amitiés. Vous avez agi avec vaillance. Des choses plus difficiles encore vous attendent. Puisse Dieu vous garder de longues années et faire de vous son instrument pour libérer l'Inde du joug. » En fait, toutes ces lettres révèlent la grande simplicité de Nehru (qui va parfois de pair avec un orgueil enfantin), son courage et sa farouche résolution qui est fidélité à de plus vastes causes. « Pour mon malheur, écrit-il, les événements internationaux m'affectent plus qu'ils ne devraient. » On y discerne partout un homme parfaitement intègre, un Robespierre, pour qui l'indépendance de l'Inde est un acte de pureté, un bain dans le Gange. Nous lisons par exemple dans une lettre à un Anglais : « Le Gange est intimement lié à la tradition, la mythologie, l'art, la culture et l'histoire (...), le Gange qui tombe sur la chevelure en broussaille de Çiva, laquelle représente manifestement les montagnes de !'Himalaya.» Gandhi, qui désigna par la suite Nehru comme son successeur, le traite avec le respect d'un père indien pour son fils aîné. Subhas Chandra Bose, lui, est l'enfant prodigue, difficile et rebelle ; tel un véritable frère cadet, il se plaint de voir · Gandhi prendre toujours le parti de Nehru. Gandhi déclare à Subhas (dans une lettre qu'on lit dans ce recueil) qu'il peut, s'il veut en faire à sa tête, entraîner le Congrès national à sa suite et que lui, Gandhi, donnerait sa bénédiction à n'importe qui, pourvu que ce dernier soit habité d'une conviction sincère. Subhas ne put cependant pas surmonter l'obstacle psychologique représenté par Gandhi et Nehru. C'était un purnationaliste, ce qui devait le conduire en Allemagne hitlérienne, puis au Japon. Pour Subhas, le seul problème était la liberté de l'Inde. Pour Nehru, l'indépendance avait son importance, mais seulement dans le contexte des principesde Gandhi et assortie d'internationalisme. La politique étrangère de Nehru est qualifiée par Subhas de nébuleuse. Il écrit en mars 1939 : Prenez la Russie. Eil dépit de son communisme en politique intérieure, elle ne laisse jamais le sentiment prendre le pas en politique étrangère. Voilà pourquoi elle n'a pas hésité à pactiser avec l'impérialisme français quand cela favorisait ses desseins. Même aujourd'hui., la Russie soviétique est prête à pactiser avec l'impérialisme britannique. Et maintenant, en quoi consiste votre politique étrangère, je vous demande un peu ? Des sentiments ronflants et de pieuses platitudes ne font pas une politique étrangère. Il ne sert à rien de se faire tout le temps le champion de causes Biblioteca Gino Bianco 121 perdues et il ne sert à rien de condamner d'une main des pays tels que l'Allemagne et l'Italie alors que de l'autre on décerne un certificat de bonne conduite à l'impérialisme britannique et français. « Je pense, lui répondait Nehru, que de tempérament et d'éducation je suis individualiste,· en même temps que socialiste intellectuellement, si tant est que tout cela ait un sens. Bref, je suis un être humain bien imparfait qui n'est pas satisfait de lui-même ni du monde. » Nehru voulait que l'Inde ouvrît ses portes aux ·Juifs, il voulait une Chine libre, il souhaitait la chute de Hitler et de Mussolini. Certes les Britanniques avaient des torts, mais il avait appris du gandhisme qu'il ne faut pas profiter de la défaite de l'adversaire. C'était être fidèle à l'Inde. Il écrivait en 1940, alors que Subhas avait déjà gagné l'Allemagne : Le Satyagraha [soulèvement non violent] ne s'impose pas dans l'immédiat, même si nous y étions prêts. Ce serait une erreur, alors que la Grande-Bretagne est en danger, de profiter de sa détresse pour lui sauter à la gorge. Cette thèse pouvait paraître faible du point de vue politique; elle n'en conduisit pas moins à une Inde indépendante, amie des Britanniques. Les perspectives du monde et l'indépendance de tant de pays ex-coloniaux sont une conséquence directe de la ferme conviction de Gandhi et de Nehru, pour qui il faut respecter son ennemi : bien plus, il faut s'efforcer de le comprendre et de l'aimer. Subhas Bose était un homme de grand courage. Il organisa une armée destinée à envahir l'Inde. Il échoua de manière héroïque et périt dans un accident d'avion en Thaïlande. La différence entre un nienchévik et un bolchévik est décidément affaire de tempérament. Bien d'autres lettres de ce livre sont intéressantes en ce qu'elles témoignent de la diversité des relations entretenues par Nehru. 11 y a là des lettres de Bernard Shaw ( « vous êtes le seul Asiatique à pouvoir être comparé à Staline », 1948), d'Ernst Toller (« l'opposition antinazie poursuit sa lutte héroïque», 1937), de Romain Rolland (« j'espère que sous.votre direction l'Inde saura comme notre Occident faire son Front populaire », février 1936). Certaines sont pathétiques, en particulier celles de madame Tchiang Kaï-chek et de son mari qui appellent Nehru leur grand ami. « L'heureux souvenir de notre entretien de Tchoung-King l'année dernière, écrit le maréchal le 18 octobre 1940, demeure vif dans mon esprit. Très souvent j'ai grand plaisir à me rappeler la communion spirituelle qui est la nôtre depuis votre visite en Chine. » Madame Tchiang, elle, se montre très femme en écrivant à quelque temps de là: Inutile de vous dire mon angoisse à la nouvelle de votre emprisonnement. Depuis lors je n'ai cessé de

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