Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

120 Tout cela vient à l'esprit en lisant le sardar Panikkar et le pandit Nehru : la petite mousson qui sautille et nous donne les céréales sèches, et le pandit Nehru 9.ui balaye nos champs de bétel et nos plantations de cocotiers, qui se répand sur nos rizières. C'est affaire de tempérament. Panikkar appartient à une famille bourgeoise de Malabar, pays de rizières et de cocotiers. Après des études à Oxford, il rentra en Inde et devint journaliste dans une agence de presse britannique. Il renonça ensuite à enseigner l'histoire pour conseiller un prince dans la conduite des affaires publiques. Si grande était sa compétence en la matière qu'il fut nommé secrétaire de la Chambre des princes, dernière citadelle des Britanniques. Tant que les maharajahs résistèrent au nationalisme, les Britanniques restèrent. Aussi quand l'ancien régime fut tombé Panikkar attendit-il un peu : «Les chiens doivent tirer la langue. Et les serpents aussi... » La grande mousson approchait cependant. Le gouvernement du pandit Nehru prit le pouvoir (rapide comme la mousson du sud-ouest qui s'échauffe sur l'équateur) et Panikkar put alors courir le monde. De manière caractéristique, il fut tout d'abord dépêché auprès de Tchiang Kaï-chek, le «grand allié en Asie», en qualité d'ambassadeur. Mais Mao entra bientôt en scène et Panikkar fut témoin des «bonds en avant ». De nouveau sa réussite fut si grande que ses rapports dictaient la politique de l'Inde à l'égard de la Chine communiste. La révolution éclata en Égypte : Panikkar y alla comme ambassadeur. La France eut le 13 mai : Panikkar était en poste à Paris. Aucun Indien n'a autant d'états de service et n'a connu autant de régimes. Son essai ressemble à une carte météorologique. Il y est question des vents d'ouest qui balayèrent l'Inde pendant plus de cent cinquante années et de l'émerveillement de l'Inde devant ce nouveau savoir : Raja Ram Mohan Roy, notre premier moderne... ...se consacra à l'étude de la pensée européenne dans son ensemble, échangea pendant un certain temps une correspondance très amicale avec Condorcet et fut en rapport avec les maîtres de la pensée progressiste qui avait survécu à la Révolution. Il eut également des relations étroites avec Bentham et les pionniers de l'utilitarisme en Angleterre. On peut dire à juste titre que Ram Mohan Roy fut le premier libéral de l'Inde dans la ligne directe des grands penseurs européens du xvme siècle. Panikkar parle ensuite de l'enthousiasme que· l'Inde manifesta de bonne heure pour l'enseignement du Christ, et qu'elle abandonna bientôt pour redécouvrir les valeurs hindoues traditionnelles, ce qui engendra à son tour le mouvement Biblioteca Gino Bianco~ ~-- LB CONTRAT SOCIAL nationaliste - la grande mousson. Mais on reste surpris de ne trouver mention, dans cette carte météorologique, que du vent et non de la pluie : le climat de l'Inde y est décrit comme si, avant l'arrivée des Britanniques, la civilisation indienne était à un niveau voisin de l'épuisement; l'Occident lui aurait donné un coup de fouet qui l'aurait fait revivre. C'est là façon de voir de journaliste et non d'historien. Car accepter l'Inde et l'histoire de l'Inde, c'est accepter la tradition indienne. Raja Ram Mohan Roy, ainsi que Panikkar l'écrit d'ailleurs, remonta à cette tradition, comme le firent tous les autres. Nehru lui-même dut passer. par là et écrivit une Découverte de l'Inde, son dernier livre avant d'accéder au pouvoir. Panikkar aurait pu lui aussi marquer un temps d'arrêt et partir à la découverte de l'Inde avant de parler . de ce pays. Cela dit, il excelle en tant que journaliste et observateur : les faits qu'il rapporte sont exacts, si le tableau qui s'en dégage n'est pas fidèle. Il est à vrai dire si « objectif» et si bien informé que l'on se demande de qui il s'agit quand il dit «nous ». Il tient à ne pas prendre parti et conclut comme suit : Ainsi envisagée dans son ensemble, cette grande rencontre de l'Orient e~ de l'Occident peut apparaître comme un grand processus de fertilisation ... Nous sommes actuellement témoins dans l'Inde de la naissance d'une civilisation nouvelle qui enfonce, certes, des racines solides dans son propre passé, mais qui est rénovée et modifiée par l'Occident, d'une synthèse qui devrait être féconde pour l'ensemble du monde. L'Occident n'a pas fait l'Inde d'aujourd'hui, pas plus que les vents ne font la pluie : les brises portent la pluie. Passer de Panikkar à Nehru revient à quitter des champs desséchés pour assister à l'une des fêtes• d'automne qui se tiennent à la fin de la mousson du sud-ouest. Le prince s'en retourne alors sur son éléphant après avoir adoré le banian ; tous les champs sont verts et le ciel est jonché de poignées de nuages; le monde sera frais et opulent et les greniers seront pleins, car le prince a adoré l'Arbre. . Qui cherche à comprendre l'Inde d'aujourd'hui et ses trois figures les plus importantes - le mahanpa Gandhi, le pandit Nehru et Subhas Chandra Bose - trouvera là les éléments nécessaires pour découvrir les différences essentielles entre ces trois créateurs de l'Inde moderne. Pour Gandhi, immuable à tout jamais comme !'Himalaya arrosé par la mousson, la non-violence et la vérité sont le fondement de toute politique et Dieu la source d'où tout le reste découle. · Entre lui et Nehru, il y a Dieu; et aussi des düférençes de tempérament, de conception intellectuelle.

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