Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

rev11ehistorù1ue et critique Jes faits et Jes iJée1 Mars-Avril 1961 Vol. V, N° 2 LA FRANCE ET SA CONSTITUTION • par Yves Lévy «uNE MUTATION, toujours, énonce Machiavel au second chapitre du Prince, laisse des pierres d'attente pour une mutation nouvelle.»La chosen'est pas'malaiséeà concevoir. Lorsqu'un régime est ancien, les intérêts liés à son existence forment d'ordinaire un tissu extrêmement serré. Chacun est accoutumé à la place qu'il occupe, et l'ambitieux a déjà préparé les chemins qui le conduiront où il veut aller. La légitimité de l'ordre des choses fait figure de dogme pour les situations acquises, pour les intérêts qui, précisément, se qualifient de légitimes. Un régime nouveau, au contraire, outre qu'il a contre lui tous ceux à qui le changement a ravi leurs places ou leurs espérances, ne trouve que des défenseurs bien tièdes en ceux qui n'ont pas vu leur échoir les places où ils se croyaient des droits, et il arrive que les nouveaux dirigeants eux-mêmes soient soucieux de fixer l'avenir en perfectionnant le système. En France, il y a vingt-cinq ans, les républicains ne se résolvaient pas à transformer ces lois constitutionnelles de 1875 qui, votées par des monarchistes et à peine retouchées ensuite, étaient devenues presque vénérables pour avoir régi deux ou trois générations de républicains, et présidé à la carrière de tous les gens en place. Et aujourd'hui, il n'est question que de bouleverser un texte approuvé il y a trente mois par les trois quarts des citoyens français. LES PARTISANS d'une nouvelle réforme des institutions françaises sont de deux sortes. Les uns ont, depuis la chute de la IV8 République, Biblioteca Gino Bianco . . refusé toute comprom1ss1on avec le nouveau régime, qu'ils accusent de n'être pas démocratique. Ceux-là ne veulent nullement revenir à la précédente Constitution, dont ils n'ont guère eu lieu de se féliciter : ils demandent un régime présidentiel. Les autres, tout au contraire, ont suivi avec enthousiasme le chef à qui nous devons le régime actuel. Mais - ils l'impriment sans ambages - l'avenir les inquiète : eux aussi ils demandent un régime présidentiel. Les uns et les autres, d'ailleurs, ont affirmé que nos gouvernants préparent une réforme de ce genre. Notre Premier ministre, à vrai dire, se garde de rien affirmer, mais il semble bien qu'il songe à soumettre au référendum deux réformes importantes, l'une tendant à faire élire le président de la République au suffrage universel, l'autre à étendre l'usage du référendum. Ces deux mesures transformeraient profondément l'esprit de nos institutions - qu'elle rapprocheraient du régime présidentiel - ainsi que l'évolution de notre vie politique. · Cheminement de l'idée présidentielle Sous la 111 8 République, aucun démocrate n'aurait voulu confier au suffrage universel l'élection du président de la République. Sans doute se plaignait-on de l'instabilité ministérielle. Pourtant, tout imparfait qu'il était, le régime avait surmonté bien des crises, alors que la Seconde République, l'année même de sa naissance, portait à l'Elysée celui qui devait l'étrangler. Cette considération, ravivée par le souvenir du boulangisme, suffisait à mettre en garde les esprits contre la tentation présidentielle.

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