V. ALBA En Uruguay, la ligne communiste de « guerre populaire » se manifesta par une déclaration d'Eugenio Gomez, secrétaire général du Parti, préconisant « un front démocratique national (...) afin de fournir une aide tangible, efficace à l'URSS, à l'Angleterre et [à leurs alliés( ...) et de soutenir le gouvernement du général Baldomir » 10 • Au Venezuela, les communistes appuyèrent la dictature du général Isaias Medina Angarita de 1941 à 1945, jusqu'à ce que Medina soit renversé par un soulèvement populaire soutenu par l'armée. Les communistes luttèrent jusqu'au bout pour le maintenir au pouvoir (AD, Caracas, 15 oct. 1960). Mais le cas le plus révélateur est celui de Cuba, où les communistes poursuivirent et renforcèrent leur alliance avec le dictateur Batista. Ces relations remontaient au début de 1934, quand Batista, passé du grade de sergent à celui de colonel et chef d'état-major de l'armée pendant l'entracte turbulent qui suivit le renversement (août 1933) de la dictature de Gerardo Machado, se servit de l'armée pour déposer le gouvernement récent du président Ramon Grau San Martin et installer le premier d'une série de gouvernements fantoches sous sa propre autorité. Les communistes avaient tenté sans succès de prévenir la chute de Machado, puis s'étaient opposés au régime révolutionnaire de Grau 11 • Batista rechercha vite leur appui. En 1937, il autorisa un P.C. déguisé, l'Union revolucionaria, sous la direction de Juan Marinello, et en 1938 permit le lancement d'un journal communiste, Hoy. En échange, le Comité central du Parti décida en été 1938 d' « adopter une attitude plus positive à l'égard dti colonel Batista» qui n'était plus le « point convergent de la réaction »,mais le « défenseur de la démocratie ». Peu après, Batista permit la formation d'un parti communiste légal et, en janvier 1939, la Confederacion de trabajadores de Cuba ( C.T. C.) fut établie comme arme ouvrière du Parti. En 1940, les communistes aidèrent à l'élection de Batista à la présidence, gagnant euxmêmes dix sièges au Parlement et plus de cent sièges de conseillers municipaux. L'entrée en guerre de l'URSS cimenta l'alliance des communistes avec Batista. Avec la nomination de deux communistes,. Juan Marinello et Carlos Rafael Rodriguez, à des postes ministériels en mars 1943, Batista devint le premjel".chef d'État d'Amérique latine à prendre des communistes dans son cabinet. Aux élections de 1944, les communistes faisaient de nouveau partie d'une coalition qui soutenait le ~didat de Batista à 10. Bajo la bandera de Artigas, Montevideo, s.d. 11. · Au printemps 1933, une grève générale fut déclench~ contre le gouvernement Machado et le dictateur appela les communistes à l'aide en échange de la reconnaissance Ugale du Parti. Le Comité central du Parti publia alors un manifeste appelant les ouvriers à mettre fin à la grève, arguant du fait que « la lutte armée contre Machado mènerait directement à une intervention impérialiste 11 ( Correspondencia internacional, 4 mai 1933). Biblioteca Gino Bianco 107 la présidence, mais la victoire alla aux forces démocratiques de Grau San Martin 12 • Ce revers ne mit cependant pas fin à la collaboration des ·communistes avec Batista. L'après-guerre APRÈS la fin de la deuxième guerre mondiale, il y eut une brève période de participation des communistes à certains gouvernements latinoaméricains ou de coopération avec ceux-ci, ce qu'on vit aussi en France, en Italie et dans d'autres pays européens. (Après la dissolution du Comintern en 1943, plusieurs P.C. latino-américains avaient changé leur nom, par exemple en Vanguardia popular à Haïti et Costa-Rica, et en Partido socialista popular à Cuba et en Colombie.) Au Chili, trois communistes détinrent quelque temps des portefeuilles ministériels dans le gouvernement de « Front populaire» de Gabriel Gonzalez Videla. Cependant, au bout de cinq mois, le président Videla mit fin à leurs fonctions car d'autres membres du cabinet refusaient de collaborer avec les ministres communistes (Alexander : op. cit., pp. 194 sqq). Pendant la même période, le gouvernement dominicain du généralissime Rafael Leonidas Trujillo encouragea la formation d'un parti socialiste populaire ( C01:TImuniste). Un émissaire de Trujillo se rendit à Cuba et persuada les dirigeants communistes dominicains en exil de rentrer dans leur pays où ils fondèrent le parti et l'organisation syndicale dans lesquels communistes et trujillistes collaboraient (ces syndicats étaient affiliés à la C.T.A.L.). Cependant, après les élections de mai 1947, Trujillo déclara de nouveau illégale l'organisation communiste 13 • D'autre part, dans les pays qui s'étaient libérés de la dictature (Brésil, Pérou, Venezuela, Guatemala et Cuba), les communistes, discrédités par leur collaboration avec les anciens dictateurs, furent tenus à l'écart de toute collaboration avec le gouvernement. En général, jusqu'au début de la guerre froide, les P.C. en Amérique latine (comme en Europe) s'abstinrent de fomenter des troubles, conformément à la tactique de réserve à l'égard des puissances occidentales appliquée alors par Moscou. Lombardo Toledano avait déjà laissé prévoir ·cette politique en 1944 : L'après-guerre ne sera pas le moment du socialisme, car nous ne sommes intéressés qu'à nous déployer et nous développer, à travailler pour réaliser les idées d'hier, enrichies par de nouvelles méthodes et formes d'application 14 • 12. Sacha Volman : « El general Batista y la revolucion comunista », in Combate, San José, Costa-Rica, juillet-août 1958. 13. Nicolas Silfa : El Boicot a Trujillo respaldado por 51 millones de trabajadores del mundo, New York 1960. 14. Vicente Lombardo Toledano : El Nuevo Programa del sector revolucionario de Mexico, Mexico 1944, p. 15.
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