106 D'un dictateur à l'autre PENDANTl'interlude de l'alliance germanosoviétique, les communistes latino-américains suivirent la ligne générale dénonçant la lutte armée contre Hitler comme une «guerre impérialiste». Au XIIIe Congrès du P.C. uruguayen, le secrétaire général Eugenio Qomez lança un appel en faveur d' «un front unique de toutes les forces progressistes et éprises de paix pour lutter contre la guerre impérialiste, pour défendre l'Union soviétique, patrie socialiste». Blas Roca, secrétaire général du P.C. cubain, affirma de son côté la nécessité de tenir Cuba à l'écart du conflit. Et comme il n'y avait pas sur place de forces d'occupation nazies avec lesquelles collaborer, les communistes se contentaient pour l'Amérique latine de la formule de «neutralité socialiste » (La Correspondencia internacional, mars et août 1940). Ce mot d'ordre fut promptement mis au rancart quand Hitler attaqua l'URSS. La « guerre impérialiste» devenait une «guerre populaire». A l'intérieur, le changement de ligne se manifesta surtout par un effort tendant à préserver le statu quo politique. En effet, nombre de dirigeants politiques démocratiques dans les pays d'Amérique latine, soumis alors pour la plupart à des régimes dictatoriaux, estimaient que le besoin des Alliés occidentaux en matières premières d'Amérique latine et de soutien moral dans la guerre contre l'Axe créait des conditions propices à l'action révolutionnaire. Mais les communistes considéraient le changement révolutionnaire comme contraire aux intérêts soviétiques et s'alignaient en conséquence sur les régimes existants. L'attitude des communistes devint évidente lorsque Lombardo Toledano, dirigeant syndicaliste mexicain qui occupait maintenant le poste influent de secrétaire général de la Fédération du travail d'Amérique latine (C.T.A.L., fondée en 1938) 6 , fit une tournée des capitales latinoaméricaines et, à son retour, présenta le 29 décembre 1942 un rapport public. Dans ce rapport, Lombardo couvrait d'éloges plusieurs dictateurs. Il appelait son «ami» le président de l'Équateur, Carlos Arroyo del Rio (trois mois plus tard, ~oyo lancera une violente campagne de répression contre les dirigeants syndicalistes et socialistes qui tentaient de former une organisation ouvrière centrale). Il faisait le panégyrique du président du Pérou, Manuel Prado, comme d'un « Staline du pays » et parlait en termes élogieux du général bolivien Enrique Penaranda, sous le go_uvemement duquel un terrible massacre de ~eurs eut lieu à Catavi ; du général Jorge Ub1co, du Guatemala ; et du général Anastasio Somoza, du Nicaragua. De ce dernier, Lombardo 6.. La, plupart des syndicats de l'Amérique latine sont affiliés a la C.T.A.L., elle-même affiliée à la Fédération s~dicale mondiale (F.S.M.), patronnée par les communistes. L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE disait : « Le général Somoza est un homme intelligent et sûr qui, à sa manière, fait du bien au peuple, qui est une sorte de dictateur paternel pour le peuple 7 • » Deux ans plus tard, lorsque· de grandes manifestations populaires eurent lieu au Nicaragua pour réclamer le retrait de Somoza de la présidence, les communistes s'y opposèrent et furent récompensés par la nomination d'un des dirigeants du Parti comme vice-ministre dans le gouvernement Somoza. Lombardo eut d'autres paroles d'amitié ·pour le général Penaranda quand le dictateur bolivien visita le Mexique en 1943. Dans un cordial message de bienvenue au nom de la C.T.A.L., il déclara : Par votre intermédiaire, je prends la liberté de saluer le noble et vaillant peuple bolivien qui, en déclarant la guerre aux nations de l'Axe, a renforcé le bloc américain contre Hitler et a mis ses ressources naturelles et humaines au service de la grande cause qui consiste à sauver l'humanité de la barbarie nazi-fasciste. Votre visite au Mexique a une valeur qui ne saurait échapper à aucun démocrate antifasciste : c'est un grand appoint à une meilleure compréhension entre nos peuples et au renforcement de leurs liens de solidarité dans l'effort commun vers le progrès dans les Amériques et la libération du monde (Accion social, 15 mai 1943). (A cette époque, le massacre de Catavi était encore stigmatisé aux États-Unis aussi bien par l'American Federation of Labor et le Congress of Industrial Organizations que par le parti socialiste.) Des principes sans principes LA POLITIQUEgénérale communiste en Amérique latine pendant cette période était clairement définie dans les principes énoncés par Lombardo à l'intention du mouvement ouvrier : 1. pas d'agitation pour des augmentations de salaire ; 2. pas de provocation à la grève; 3. maintien du statu quo général en Amérique centrale et en Amérique du Sud 8 • Cette position fut de nouveau exprimée par Lombardo au congrès de la C.T.A.L. tenu à Cali, en Colombie, en 1944 : Nous avons fait beaucoup de chemin depuis les attitudes romantiques et ·stériles qui nous faisaient pousser des cris passionnés contre l'impérialisme ... Pendant la guerre contre l'Axe nazi-fasciste, la classe ouvrière ne doit pas employer la grève comme arme régulière tle la lutte 9 • 7. Rodrigo Garcia Trevino : La Ingerencia rusa en Mexico, Mexico 1959, pp. 138 sqq. 8. Luis Chavez Orozco : « Porque renuncié al cargo de secretario general del Sindicato de trabajadores de la educacion », in Accion social, 15 sept. 1945. 9. Cité dans Esquema historico del movimiento obrero en Am,rica latina, de l'auteur, Mexico 1957, p. 102.
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