\ L' Expérience communiste COMMUNISME ET CÉSARISME EN AMÉRIQUE LATINE par Victor Alba LE MOUVEMENT COMMUNISTE mondial qui, pendant quarante ans, a suivi une succession kaléidoscopique de lignes tactiques en apparence contradictoires, tout en conservant - et en accroissant - sa puissance, est un phénomène qui a toujours troublé les observateurs politiques. En quatre décennies, les P.C. sont passés partout de la « bolchévisation » au « front commun» avec la social-démocratie en 1921, puis à une lutte sectaire contre le « socialfascisme » en 1928, au Front populaire en 1935, à la politique de « guerre anti-impérialiste » en 1939, à la ligne de « guerre populaire» en 1941, à la tactique de guerre froide en 1947 et enfin à la ligne actuelle de « coexistence pacifique». Malgré cela, beaucoup de P.C. se sont adaptés à ces revirements soudains, souvent embarrassants, et sont parvenus à poursuivre leur activité sans éclater. C'est peut-être en Amérique latine que l'on trouve les illustrations les plus frappantes de ce phénomène singulier. Car, dans le contexte particulier de la politique latino-américaine, l'effet pratique des lignes tactiques successives imposées par Moscou a été de faire jouer aux communistes, presque invariablement, le rôle d'adversaires des mouvements démocratiques et révolutionnaires indigènes et d'alliés - parfois déclarés, le plus souvent déguisés - des forces de la dictature réactionnaire. Cette collaboration avec les dictateurs de droite assortie de critique à leur égard - tactique souvent appliquée par l'intermédiaire de deux partis communistes - peut être qualifiée de tactique de « soutien critique » ou de « concubinage politique » 1 • Elle a été appliquée plus d'une fois dès avant l'ère du Front populaire, mais surtout pendant la période de guerre froide. 1. Pour une étude plus détaillée de cette tactique, cf. Robert J. Alexander : Communism in Latin America, Rutgers University Press, New Brunswick 1957; Victor Alba : Historia del Jrente popular, Mexi~_p 1959, et Esquema historico del comunismo en lbero-America, Mexico. 1960 (3e éd.). Les effectifs relativement peu importants des P.C. d'Amérique latine, en comparaison des organisations communistes massives de certains pays européens, ont favorisé cette politique ainsi que l'adaptation aux revirements soudains de la ligne générale ordonnée par Moscou. Leur petitesse même en a fait des instruments très bureaucratisés et disciplinés, ·et cela a contribué à faire accepter plus facilement les changements tactiques aux dirigeants comme aux militants. Avec le temps, les militants, et même les sympathisants, se sont si bien habitués à la connivence persistante avec les dictatures locales· qu'ils ont· fini par voir dans le Parti une sorte d'organisation machiavélique qui tire avantage de telles alliances. La foi du militant ne faiblit pas et il accepte aveuglément la politique tactique du moment, car les expériences des volte-face passées - si déconcertantes qu'elles aient pu être à l'époque - lui montrent qu'elles ont effectivement donné des résultats profitables pour le Parti. Cette attitude pragmatique, soutenue par un dogmatisme schématique, explique la facilité avec laquelle ,les soudains changements de politique ont été acceptés par les mouvements communistes d'Amérique latine, et vaut aussi bien, quoique avec moins d'évidence, pour les pays ayant une organisation politique plus avancée. En raison de la situation politique actuelle en Amérique latine, il est intéressant d'examiner en détail la tactique communiste de « soutien critique » pendant les quarante dernières années. Opportunisme du début LES PARTIS COMMUNISTES latino-américains sont presque toujours nés d'un schisme dû à la faiblesse des partis socialistes. Une fois établis, ils manœuvrèrent rapidement pour diviser les mouvements ouvriers locaux et créer leurs propres syndicats dits «unifiés» qui, en 1929, se réunirent pour former la Confederacion sindical
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