M. BAKOUNINE des armes nouvelles et de la tactique moderne à la barbarie primitive des masses chinoises, à l'absence totale chez elles de toute idée de protestation humaine, de tout instinct de liberté, à l'habitude d'obéir servilement, et tout cela est en train de s'amagalmer sous l'influence d'une foule d'aventuriers militaires, américains ou européens, qui ont inondé la Chine après l'expédition francoanglaise de 1860 ; oui, considérez l'énormité monstrueuse de la population chinoise contrainte à se chercher une issue et vous comprendrez combien est grand le péril qui nous menace du côté de l'Est. Et c'est avec ce péril que joue notre gouvernement russe, innocent comme un enfant. Poussé par son désir absurde d'étendre ses frontières et ne tenant pas compte que la Russie est si peu peuplée, si pauvre, ~t si impotente que j_usq~'à présent elle n'a pas ete capable, et ne le sera Jamais, de peupler la province récemment acquise de l'Amour où, sur une superficie de 2.100.000 km2 (plus de quatre fois celle de la France), on ne compte, y compris les troupes et les équipages de la flotte, que 65.ooo habitants. Et malgré cette impuissance, malgré la misère générale du peuple russe réduit, sous tous les rapports, par les pouvoirs publics à une situation si désespérée que, ·pour lui, il n'y a pas d'issue et de salut en dehors d'un soulèvement le plus destructeur possible - oui, malgré pareilles conditions, le gouvernement russe espère établir sa domination sur tout l'Est asiatique. Pour continuer à aller de l'avant avec les chances les plus minimes de succès, le gouvernement russe ne devrait pas seulement tourner le dos à l'Europe et renoncer à toute intervention dans les affaires ·européennes - et le prince de Bismarck ne demande maintenant que cela, - il devrait jeter résolument toute sa force militaire en Sibérie et en Asie centrale pour se lancer à la conquête de l'Est, comme Tamerlan, en entraînant toute la nation. Mais Tamerlan avait son peuple derrière lui, tandis que le peuple russe ne suivra pas son gouvernement. Revenons aux Indes. Aussi inepte qu'il soit, le gouvernement russe ne peut nourrir l'espoir d'en faire la conquête et d'y asseoir sa domination. L'Angleterre s'est emparée des Indes avant tout par l'entremise de ses compagnies commerciales; chez nous, il n'y a pas de co~pagnies ~e ce genr~ et en admettant même qu'il en existe par-ci par-là, ce ne sont que des compagnies« de poche», pour la frime. L'Angleterre se livre sur une vaste échelle à l'exploitation des Indes, au négoce qu'elle leur a imposé en utilisant la mer, au moyen d'~e immense flotte de bateaux marchands et de navires de guerre; or, au lieu d'une mer, nous sommes séparés des Indes par un désert sans fin - c'es!- à-dire qu'il ne saurait être question de conquérir quoi que ce soit aux Indes. Mais si nous ne pouvons rien y conquérir, il est possible d'y détruire, tout au moins d'y é~ranler la domination de l'Angleterre, en suscitant Biblioteca Gino Bianco 103 contre elle des soulèvements d'autochtones et en soutenant ces soulèvements, en les appuyant au besoin par une intervention militaire. . Certes, nous le pouvons, bi~n que_cela nous coûtera, nous qui ne sommes riches ~ en ar~ent ni en hommes, d'immenses pertes en viesh~ames et en ressources financières. Mais pourquoi donc supporterions-nous ces pertes ? Serait-ce simplement pour nous offrir le plaisir. .~oce~t d'embêter les Anglais sans aucune utilite, mais au contraire avec de sérieux dommages po~r nous ? Non point, mais parce que les Angla1~ nous mettent des bâtons dans les roues. Et ou donc nous mettent-ils des bâtons dans les roues ? A Constantinople. Tant que ~'An~leterre gard~ra sa force elle ne consentira Jamais et pour rien au monde à ce que, entre nos mains, Constantinople redevienne la capitale n?n p~us se!11em~nt de l'Empire de toutes les Russies n1 de 1 Empire slave, mais de l'Empire d'Orient. Voilà donc pourquoi le gouv~rnement russe a déclaré la guerre à Khiva et la raison l?our laquelle d'une façon générale il s'efforce depuis longtemps de s'approcher des Indes. Il cherche l'endroit où il pourrait causer des ennuis à l'Angleterre et, n'en trouvant pas d'autre, il fait peser sur e!le une menace aux Indes. Ainsi espère-t-il faire admettre aux Anglais l'idée que Constantin<?ple doit devenir une métropole russ~ et . les, obli~er à accepter cette annexion plus que Jamaisnecessaire à la Russie officielle. Sa suprématie dans la Baltique est perdue sans retour. Ce n'est pas l'État russe, unifié par les baïonnettes et le knopt, haï de ~o~tes les masses populaires emmurees et enchamee~, à commencer par le peuple grand-russe lwmême démoralisé désorganisé et ruiné par l' arbitrai;e despotiqu'e de ses dirigeants, par l~~r bêtise et leurs rapines ; ce n'est pas sa for~e militaire, qui existe beaucoup plus sur 1~ papier que dans la réalité et seulement pour tenir en respect les masses désarmées, du moins tant que nous manquerons d'audace; ce n'est pa~ l'État rus~e qui tout seul peut s'attaquer à la puissance formidable et rem~rquablement organisée de l'Emp!re germanique qui vien~ de rena~tre. Cela veut dire qu'il faut renoncer a la Baltique et attendre le moment où toute la provinçe. balte sera province allemande. Seule la révolution populaire peut l'empêcher. Mais une révolution de ce genre, c'est la mort de l'État et ce n'est pas en elle que notre gouvernement ira chercher son salut. Pour lui, le salut est uniqueme~t dans l'alliance avec l'Allemagne, car contraint d~ re~oncer à la Baltique au profit des Allemands, d doit chercher maintenant dans la mer Noire un nouveau champ d'action, une nouvelle pierre d'assise pour sa politique de grandeu~ ou tout simp~t:me~t po~r son existence et son importance politique ; mats sans la permission et le soutien des Allemands il ne pourra trouver ni l'une ni l'autre. MICHEL BAKOUNINE.
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