Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

100 sera le jeu spontané des forces naturelles, c'està-dire les besoins et les sentiments des hommes, qui conduisent irrésistiblement l' « humanité travailleuse» à instaurer un régime définitif de paix; cette humanité fortifiée par l'épreuve, éduquée par le labeur, « est seule capable d'en finir avec la guerre, en créant l'équilibre économique, ce qui suppose une révolution radicale dans les idées et dans les mœurs » 25 • Proudhon n'est pas moins méfiant à l'égard d'une formule qui commençait à se faire jour dans les polémiques : les « États-Unis d'Europe»; il craint de voir « cette nouvelle Sainte-Alliance (...) dégénérer (...) en une puissance unique, une grande monarchie européenne». L'Europe, à ses yeux, « serait encore trop grande pour une confédération unique ; elle ne pourrait être qu'une confédération de confédérations » 26 • Dans l'organisation internationale telle qu'il l'entrevoit, la guerre n'aurait plus de rôle à exercer, la guerre devient superflue ; une « gendarmerie » suffirait ; nul besoin d'alliances, pas plus que de traités de commerce ; entre nations libres, il suffit du droit commun » 27 • Ainsi, la paix dans l' « anarchie » 28 par la « garantie mutuelle », telle est, en définitive, la formule proudhonienne de l'équilibre, dans l'ordre international comme sur le plan interne. La Guerre et la Paix eut dans la. presse un vif retentissement; la Revue britannique, l'illustration, ['Opinion nationale, la Presse, bien d'autres périodiques encore y consacrèrent d'abondants et véhéments articles. Les critiques des adversaires de Proudhon ne le surprirent ni le chagrinèrent ; mais il fut vivement déconcerté par la consternation générale de ses amis. Trois semaines après la publication, il devait reconnaître que· son _liyre_avait été accueilli p_arun tollé auquel participaient ses propres partisans 29 ; ceux-ci se scandalisaient de trouver sous la plume d'un fervent démocrate une appréciation indulgente des guerres napoléoniennes, l'apologie des traités _de _Vie~~, une sévère c~itique du principe des nationahtes, une acceptation assez sèche du sort des Polonais. Quant aux adversaires, PrévostParadol 30 exprimait leur sentiment commun en repoussant, au nom de la « conscience humaine » la glorification mystique du «droit de la force >~: Seul, le fidèle Chaudey, dans le Courrier du 25. Guerre et Paix, Conclusion, p. 487. 26. Principe fédér., I, IX, p. 335. 27. Ibid., Conclusion, p. 550. 28. ~ur la conception de l'anarchie selon Proudhon, cf. Idée ge~érale de la Révolution au x1xe siècle Libr. Rivière p. 309, et Prinëipe fédératif, pp. 278-79, d. 16 bis. : : ' 29. Corresp., t. Xr,--p. 108. . 30. Débats, 5 juillet. Sur le détail de ces polémiques; cf. les pages excellentes de H. Moysset dans-l'introduction à La Guerre et la Paix, pp. XXXII-XLVII. · Biblioteca Gino BiancttO---- ANNIVERSAIRE dimanche du 21 juillet, mettait en relief l'originalité et la force de la thèse de son ami ; celuici, montrait-il, ne s'est pas borné à constater - après tant d'autres que «la force est à l'origine · de toutes les grandes fondations et de toutes les grandes institutions de l'humanité »; il est· allé plus loin et a creusé en profondeur. Si, en effet, la guerre n'a pas seulement détruit, mais créé, il est inadmissible qu'il n'y ait ·pas en elle un principe de fécondité, un ferment de progrès spirituel et social. Que. Proudhon ait dit le dernier mot sur cet immense problème, nul ne le soutiendra, mais le mérite lui reste acquis de l'avoir posé dans toute sa gravité et d'avoir projeté pour l'éclairer de lumineuses intuitions. L'hypothèse centrale de La Guerre et la Paix est donc valable en ce qui concerne le passé ; l'est-elle autant à l'égard de l'avenir ? L'humanité va-t-elle du .conflit à l'accord par les voies de l'économie ? L'histoire du siècle qui vient de s'achever depuis l'élaboration de ce beau livre lui oppose le plus cruel démenti; cette période a vu se succéder la guerre austro-prussienne, la guerre franco-allemande, la guerre des Balkans, la guerre russo-japonaise et, pour achever ce sinistre bilan, deux guerres mondiales. Que dans ces entrechocs des plus grandes nations les facteurs économiques aient puissamment contribué à aggraver les antagonismes, nul ne le peut contester; mais ces facteurs n'ont pas été les causes déterminantes ; les décisions sont venues des gouvernements politiques puissamment armés; la Machtpolitik demeure l'arbitre des destinées du monde moderne. L'histoire n'a pas confirmé davantage les pré- -visions optimistes de Proudhon sur l'avenir des petits ~tats et des fédérations. A la suite de la première guerre mondiale, la dissolution de l'Empire austro-hongrois avait entraîné une certaine balkanisation de l'Europe centrale. Mais .la seconde a déclenché un processus inverse ; l'Union soviétique a non seulement absorbé les pays Baltes, mais installé à ses flancs, en Europe et en · Asie, une formidable ceinture d'États «satellites» et la Chine populaire vient d'anéantir l'autonomie du Tibet. Ainsi les mots d'ordre qui fixeront le destin prochain de l'humanité n'émaneront ni de Genève ni de La Haye, mais de Washington, de Moscou ou de Pékin. Proudhon, ébranlé peut-être par l'assaut quasi unanime des critiques, pressentait-il l'échec .d. e ses e~pérances, quand il écrivait en 1863 dans le Principe fédératif: « Le -:xxe siècle ouvrira l'ère des fédérations ou l'humanité recommencera un purgatoire de mille ans » 31 ? De ce purgatoire, le siè~le qui a suivi la parution d~ La Guerreet la Paix nous a comblés d'expériences infernales. Qu'apporteront les neuf suivants ? Laissons sur · ce point la parole aux historiens de l'an 2861. THÉODORE RUYSSEN. · 31. Il, I, pp. 355-56.

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