92 L'histoire de l'Égypte pharaonique en fournit la preuve. En effet, nulle part ailleurs l'étatisation de l' économie ne fut aussi poussée qu'en Égypte sous la 1v0 et surtout la xu 0 et la XVIII 8 dynastie. L'ensemble de la terre et de ses produits appartenait à l'État; la terre, les métiers d'artisan ou de commerçant étaient distribués par les agents de l'État ; l'encadrement de la population agricole permettait à l'État de mobiliser la main-d'œuvre nécessaire à l'exécution des grands travaux ; bref, l'autorité centrale disposait souverainement de la quasi-totalité des biens en nature et des prestations de travail. En face de l'État cc omnipotent» a toujours subsisté au moins un pouvoir indépendant : le clergé, puissance d'autant plus considérable que la monarchie trouvait sa justification dans son origine divine. Aussi les temples étaient-ils comblés de donations de plus en plus importantes, prélevées sur le domaine étatique, tandis que les sacerdoces, rémunérés par des rentes ou des bénéfices en terres, devenaient héréditaires et échappaient aux règles de la filière administrative. Vers la fin de la ve dynastie, «une aristocratie sacerdotale, le plus souvent héréditaire, empiète sur l'autorité royale : l'exercice des droits religieux l'a conduite à la propriété foncière et à l'influence politique» 22 • Tandis que les temples, exemptés des impôts, corvées et services de tout ordre, devenaient des États dans l'État et démembraient la souveraineté, l'émancipation du clergé libérait toutes les forces centrifuges que l'État bureaucratique recélait. Dans les conditions précapitalistes, l'unité de la bureaucratie est trop souvent plus apparente que réelle et ne repose sur aucune base économique appropriée, par exemple sur une division du travail à l'échelle nationale transformant toutes les unités de production en parties solidaires du tout. Ainsi l'Ancien Empire égyptien, qui ignorait l'économie mo?étaire et donc l'échange à grande échelle, était partagé en plusieurs districts administratifs («nomes») dont chacun fonctionnait comme un petit État et reproduisait trait pour trait tous les roua~es de l'administration centrale. Or, comme le dit Breasted, « au premier signe de faiblesse donné par le pouvoir central, commence la désa- ~égatio!l » . de l'appareil bureaucratique 23 et 1 em~c1pat1on .des cc .monarques» qui se taillent de ventables seigneuries féodales sur les territoires ~u'ils arrachent au contrôle du centre. Finalement 1 Égypte retourne à l'état de morcellement féodaÎ - qui caractérise à la fois le commencement et la fin de son histoire (après la XIX8 dynastie). Au lieu des économiesunitaires et des structures bipol~r~s dé~rites P.ar Marx, nous voyons donc des regimes econom1quespolycentriques où plu22. A. Moret : Histoire de l'Orient, Paris 1941, I, 250. ~3· J. ~reasted : Histoire de l'Égypte ancienne, trad. française, Paris 1926, I, 84- . · · Biblioteca Gino Bianco ·LE CONTRAT SOCIAL· sieurs _classes également exploiteuses, .ou tout au moins indépendantes, s'affrontent et se limitent mutuellement dans une lutte continuelle pour la ·. consolidation ou la redistribution des zones de domination. La raison pour laquelle ce plura-. lisme n'apparaît pas dans la construction marxiste ne peut tenir qu'à ses implications perturbatrices de l'harmonie du système. L'examen des thèses proprement mythologiques de Marx sur l' cc autodestruction» des régimes sociaux et la lutte des classes nous en apportera la preuve. Il. - Dynamique AEN CROIRE MARX,la classe qui chaque fois domine dans la société doit sa prépondérance à l'évolution économique et se définit par son rôle dans le processus de production. «Agent inconscient et passif du progrès» 24 qui, tout au long de la «préhistoire de l'humanité », ressemblera non pas à la divinité tutélaire des Lumières, mais à «cet horrible Dieu païen qui ne voulait boire le nectar que dans les crânes de ses victimes » 25 , la classe exploiteuse conserve et renforce sa dominati9n aussi longtemps qu'elle remplit une fonction économique progressive et favorise l'accroissement «continuel» des forces productives. Or ses possibilités ne sont pas illimitées : un moment viendra où une «contradiction » éclatera entre les «rapports de production » qui assurent sa domination et les exigences du progrès technico-économique ; ce sera alors la crise générale, structurelle du régime. Le modèle marxiste DANSla célèbre préface à la Critique de l'écon~miepoliti<Jue nous trouv~ns un~ définition précise du phenomène essentiel qw, d'après Marx, provoque chaque fois la ruine des différents régimes sociaux et détermine leur renversement révolutionnaire : A un certain degré de leur développement, les forces productives de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété, à l'intérieur desquels elles s'étaient développées jusque-là. . ~ette « contradi~i~n ».dégénère vite en oppos1t1on ou~erte qw s1grufie arrêt de l'expansion économique : «de formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports [de production et de propriété] se changent en o.bstacles 3:u développe~en~ des forces produc- .ttves ». Mats une telle situation ne peut se perpé- . tuer et « alors commence une ère de révolution 24. MC, p. 79 : « willenloser und widerstandsloser Trllger. ». 25. Marx : Ausgew/Jhlte Schriften, Zurich, II, 681.
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