88 cachés dans leur substance la plus intime, les germes à la fois de leur apogée, de leur corruption nécessaire et de leur inévitable «dépassement». Chaque régime social y était décrit de telle sorte que sa croissance, son déclin aussi bien qp.~ son remplacement par un «nouveau et superieur » mode d'organisation économique et sociale devenaient apparemment intelligibles sans qu'il fût nécessaire de faire intervenir un facteur extérieur à l'énoncé initial. Or l'ambition suprême de toute sociologie systématique n'est-elle pas précisément d'intégrer dans un ensemble de propositions logiquement fermé à la fois la théorie de la structure présente et celle de la métamorphose future de la société ? C'est à Marx lui-même que nous demanderons de démolir l'inhabitable palais de cristal dans lequel l'idolâtrie l'a enfermé. En effet - détail qui a passé inaperçu de la quasi-totalité des auteurs des ·innombrables et de plus en plus volumineux ouvrages consacrés au marxisme, - il n'y a pas une des généralisations lapidaires qui ont fait la fortune du marxisme, comme «science » et «savoir», qui ne soit démentie par les faits et qui ne fût déjà amplement réfutée par son auteur lui-même. Nous tenterons de le démontrer en soumettant à l'examen critique les thèses marxistes concernant l'antagonisme des classes, la crise «structurelle » de régime, le rôle révolutionnaire de la classe exploitée et l'interprétation économique des transformations sociales. I. - Antagonisme SELON MARx, un implacable déterminisme régit la vie profonde de la société : les distinctions de classe qui divisent celle-ci et aliènent les individus s'établissent «nécessairement et indépendamment de la volonté des hommes », indépendamment de l'action de l'État ou de tout autre pouvoir extérieur à l'ordre économique ; elles correspondent «toujours et nécessairement» aux conditions matérielles de la production qui prévalent à chaque époque. Généalogie des classes dirigeantes I~ N'EST PAS QIB;STION 1e critiquer ici la généalogie purement economique que le marxisme attribue aux classes dominantes. Remarquons tout de même que déjà deux des classes dirigeantes mentionnées dans le Manifeste, les m~tres dans les sociétés esclavagistes et les seigneurs dans les sociétés féodales, n'entrent pas dans ce schéma qui tient la stratification sociale pour une cristallisation des divisions fonctionnelles de la collectivité productive. Marx lui-même nous propose une interprétation de l'avènement de la féodalité (occidentale) qui tranche sur les formules usuelles du matéBiblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL rialisme historique et pourrait même servir d'introduction à la théorie moderne de l'« appareil». «L'origine de la féodalité, dit-il, se trouve dans la structure organisationnelle de l'armée conquérante telle qu'elle s'est développée ~endant la conquête même 7 • » On est loin de 1 économisme illustré par l'exemple particulièrement mal choisi du moulin à bras auquel la Misère de la philosophie (pp. 88 et 105) attribue la paternité du système féodal. Marx nous invite expressément a distinguer deux moments décisifs dans le processus de féodalisation: d'abord, la structure interne de l'appareil militaire; ensuite, les conditions économiques existant avant et après la conquête. Car «cette organisation [à l'origine exclusivement] guerrière ne se transforma en véritable féodalité [c'est-à-dire en véritable classe . dominante] que sous l'influence des forces productives trouvées dans le pays conquis ». Le · phénomène premier est donc ici la forme spécifique de l'appareil militaire qui modèlera les rapports de production à son image et à son profit, selon l'état effectif des forces productives. Mais ne donnons pas à Marx ce qui est dû à Max Weber et rappelons aussi brièvement que possible ses thèses sur l'esclavage. Comment attribuer l'institution de l'esclavage à un effet, même lointain, de la ·«loi » de la division du travail ? Pareille hypothèse serait d'autant plus absurde que Marx et Engels n'ont jamais surestimé l'importance de l'asservissement pour dettes, lequel d'ailleurs avait depuis longtemps disparu lorsque l'économie esclavagiste (de l'antiquité gréco-romaine) connut son véritable apogée, au cours des deux derniers siècles de l'ère préchrétienne. A l'opposé d'Engels, qui a poussé sa prétendue explication économique de l'esclavage jusqu'à en faire une véritable apologie de l'exploitation de l'homme par l'homme, Marx n'a eu aucune peine à se rendre à l'évidence : l'esclavage, fruit de la conquête et de la violence brutale, est pour lui un «fait prééconomique » 8 et doit être reconnu pour tel. La théorie qui érige la «loi» de la division du travail au rang d'un démiurge des classes dominantes est une théorie étroite qui n'est applicable qu'à l'histoire des sociétés bourgeoises modernes. Comme pouvoir de classe, Marx n'a voulu connaître et reconnaître que celui que procure le commandement économique et qu'impose le développement des forces productives, transformé pour les besoins de la cause en destin universel , et en vocation essentielle de toutes les clas~es dirigeantes. Pourtant la fonction économique est loin de constituer l'attribut originel ou le critère exclusif du pouvoir social. 7. Dl, p. 64 (VI, 238). .. . ' 8. Marx : Zur Kritik -der Politischen Okonomie, éd. Dieu, 1951 (titre abrégé : Kr), p. 251 (p. 326). Les chiffres entre parenthè,les renvoient à la traduction L. Lafargue, Paris 1928.
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