Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

CLASSES ET LUTTES DE CLASSES I par _Kostas Papaioannou «PAS d'antagonisme, pas de progrès. C'est la loi que la civilisation a suivie jusqu'à nos jours1 .» On sait comment Marx a conçu cette« loi» : les forces productives propulsent l'histoire, et ce à travers la lutte des class_es. Le schéma marxiste Le fait constitutif, le mouvement en profondeur, est une irrésistible poussée de progrès, un « mouvement continuel d'accroissement »des forces productives 2 • En fonction de celui-ci, des formes de division du travail apparaissent, qui suscitent des rapports déterminés «de production», c'està-dire de commandement économique, de sujétion des travailleurs, de répartition inégale des tâches et des produits. C'est ainsi que« les diverses formes de la division du travail devinrent autant de bases d'organisation sociale » 3 , scindant la société en deux classes «fondamentales » : la classe exploiteuse, qui possède les moyens de production et monopolise les fonctions de direction, et la classe exploitée, vouée aux _tâches d'exécution. La «loi» du progrès implique aussi la fin inéluctable de la classe dominante qui chaque fois précipite sa ruine en accumulant plus de forces productives qu'elle ne peut en « contenir ». En effet, il faut croire que, dans leur mouvement «continuel» d'accroissement, les forces productives entrent périodiquement en conflit avec leur enveloppe institutionnelle. L'ordre existant devient alors incompatible avec la poursuite de la croissance économique. Or, dit Marx, «cette contradiction devait chaque fois éclater dans une révolution » 4 • L'histoire passe donc nécessairement 1. Marx: Misère de la philosophie, Paris 1947 (titre abrégé : MPh), p. 53. 2. MPh, p. 88. 3. Ibid., p. 107. 4. Marx-Engels : Die Deutsche Ideologie, éd. Dietz, 1953 (titre abrégé : DI), p. 74 (VI, 220). Les chiffres latins et arabes entre parenthèses renvoient au volume et à la page de la traduction Molitor. Biblioteca Gino Bianco par la révolte de la classe exploitée qui doit chaque fois s'approprier les forces productives créées par l'ancien régime pour conduire la société à un mode de production et d'organisation «nouveau et supérieur» : le commencement de chaque nouvelle «époque de la formation économique de la société » sera donc marqué par l'avènement révolutionnaire de la classe exploitée de la période précédente. A la lumière de cette dialectique, l'histoire se présente comme la succession de quelques modes fondamentaux de production et d'exploitation du travail qui favorisent le progrès économique pendant les époques ascendantes, mais qui finissent toujours par devenir des «entraves ». Alors s'ouvre une ère de crise et de révolution sociale, et l'histoire se lit comme lutte de classes : Hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens, barons et serfs, maîtres des corporations et compagnons, en un mot, oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée ; une guerre qui finissait toujours ou bien par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, ou bien par l'effondrement simultané des deux classes en lutte 6 • Il serait fastidieux de rappeler les innombrables témoignages de l'unanimité quasi religieuse qui se fit aussitôt autour de cette synthèse grandiose où l'apollinisme du progrès se conciliait enfin avec le dionysisme de la révolution purificatrice. «Nous avons là; sous les yeux, une véritable "algèbre", mais une algèbre· purement matérialiste (sic) de l'évolution sociale», s'exclamait Plékhanov 6 , le «père du marxisme russe », et il n'était pas le seul à être ébloui par une construction qui paraissait satisfaire à toutes les exigences de l'esprit de système : dans la vision du « développement majestueux des forces productives », toutes les formations sociales du passé et du présent devenaient enfin transparentes et révélaient, 5. Manifeste communiste, Paris 1947 (titre abrégé : MC), pp. 54-55. 6. Questions fondamentales du marxisme, Paris 1947, p. 53.

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