Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

82 de Jeremy Bentham*. Dans ce sens, on ~ra que la société, l'État, ou simplement la totalité sociale précède ou dépas~e J'~ndivid~ dans la hiérarchie des valeurs. L'individu doit se soumettre à la société qui par rapport à lui représente une valeur supérieure. C'est le socialisme en tant qu'universalisme politique. Dans ce sens Platon, Hegel et Schelling sont socialistes. Mais à partir de cette conception, deux tendances ou orientations profondément différentes sont logiquement possibles - et sont effectivement apparues dans l'évolution de la pensée. La société (ou l'État, ou le tout social) peut être supérieure à l'individu, avoir plus de valeur ou de portée que lui, en tant qu'élément irrationnel ; le social apparaît ici comme principe naturel, inné ou même divin qui ne relève d'aucune raison humaine ou autre, comme un cosmos qui ne correspond jamais à une volonté rationnelle au sens humain du mot. L'universalisme éthique et politique se fond ici avec l'universalisme cosmique ; l'un et l'autre s'opposent, en principe, au rationalisme. En partant d'un tel point de vue, on est amené tout naturellement à donner à l'universel la priorité sur le particulier, puisque l'irrationnel et l'impersonnel sont supérieurs au rationnel et au particulier. Mais une autre sorte d'universalisme reste possible, qui serait étranger à toute cosmologie, et qui serait ainsi un universalisme purement politique. La société, l'État est supérieur à l'individu, et les valeurs qu'il incarne l'emportent parce que la totalité qu'il forme est dotée d'une sorte de personnalité rationnelle, particulière et multipliée ; la société est le « grand homme », le makranthropos. Cet universalisme rationaliste et purement politique peut être la base consciente d'une idéologie «socialiste», et presque toute idéologie de cette espèce s'en inspire, du moins inconsciemment. Mais il est intéressant de remarquer que l'idéologie «socialiste» peut se fonder, et s'est en fait presque toujours fondée (jusqu'à notre ère, celle des << États totalitaires », du «fascisme », du «national-socialisme»), sur une prééminence de la valeur de l'individu, sur un individualisme déontologique**. Pour un tel socialisme, l'État (la société) est seulement - ou tout au moins essentiellement - un moyen, un instrument, une forme d'organisation technique, un dispositif, au service de l'individu. Ainsi conçue, la société, ou l'État, n'est ni persona ni civitas. Elle est machina, mechane, appareil (la machina mundi de Lucrèce). _ L'un des hommes qui ont le mieux étudié le socialisme, Heinrich Dietzel, a fait du choix • Bentham a forgé et employé ce terme dans le sens de science des obligations morales ou du devoir. Cf. Deontology, or the Science of Morality (1834). •• La version de 1922 de cette phrase est la suivante : « Mais, au contraire, à sa base peut se trouver la théorie de la prééminence (de valeur) de l'individu sur la société, un individualisme fondé sur la reconnaissance de cette pr~ œinence.11 .. ., LE CONTRAT SOCIAL axiologique entre le social et l'individu le critère par lequel il distingue le socialisme du communisme *. Le socialisme - selon la terminologie et les théories de Dietzel - soutient la primauté de la société, le communisme en revanche celle_ cie l'individu. Cette terminologie est certes purement abstraite et artificielle, _fort étrangère à l'histoire de l'idéologie collectiviste. Mais la distinction ainsi établie, si artificielle qu'elle soit, si contraire à l'usage traditionnel et au sensactuel, n'en est pas moins fondamentale pour la classification philosophique des idéologies collectivistes. Mais, en règle générale, la réflexion sur le socialisme ne débouche pas sur cette distinction - pourtant essentielle pour le comprendre en tant que mouvement social. Il n'empêche que toute doctrine collectiviste répond implicitement, d'une façon ou de l'autre, à la question éthicopolitique : au nom de quoi ? Qu'est-ce qui compte le plus, vaut davantage : l'individu ou l'ensemble social ? Un terme nouveau vient se glisser sous notre plume : «collectivisme» («collectiviste»). Ce vocable peut être utile pour désigner un concept générique englobant, comme espèces, le socialisme et le communisme, que distinguerait quelque differentia specifica. Mais je ne vois pas de raison particulière, du point de vue de la terminologie et de la pensée scientifiques, d'assigner à chacun des termes « socialisme », «communisme » et «collectivisme» une signification distincte. Les termes scientifiques doivent dériver d'une manière ou de l'autre de l'usage vulgaire ou courant- des mots, amenés par une réflexion approfondie à une précision et une clarté pleinement logiques. De ce point de vue, les mots socialisme, communisme et collectivisme ont une certaine signification de base commune et essentielle, historiquement aussi bien que pragmatiquement. Nous n'utiliserons donc, pour désigner cette signification commune, qu'un seul mot : socialisme. II. - Nous AVONS vu que le socialisme est l'idéologie d'un mouvement social actif. Essayons maintenant d'arriver à une notion claire, une définition précise de cette idéologie, en dégageant ses caractères fondamentaux, ses attributs essentiels. Le· socialisme, en tant qu'idéolo$Ïe d'un mouvement social, soutient en premier lieu que la vie économique de la société peut et doit être modelée d'une façon ou de l'autre, suivant 11ne norme parfaitement rationnelle, qu'elle doit être organisée suivant un mode parfaitement rationnel, et dirigée selon un - plan conscient par une volonté générale s'exerçant · par la force. Le socialisme est l'idée d'une ratio- . nalisation par/ aite et universelle de la vie sociale et surtout de la vie économique. Déjà Owen - • Beitrage zur Geschichte des Sozialismus und Kommunin_nus, Essen 1920 •

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