80 pour enrichir sa biographie et prouver des supériorités qui l'égalent aux maîtres les plus illustres. Jusqu'à présent les contributions de Mao _à l'expérience communiste s'avèrent tristement piteuses et ne rehaussent pas son prestige doctrinal à Moscou : c'est en Occident qu'on a vu des «experts» s'extasier devant les hauts fourneaux dérisoires et les communes monstrueuses. Les métaphores ne compensent pas les faillites, les « cent fleurs » n'ont produit que des épines, petite pluie abat grand « vent d'Est », et quant au «bond en avant », il enseigne que Mao sait sauter pour mieux reculer. Un chef de guerre civile capable de s'emparer du pouvoir et de le garder n'a pas implicitement le génie qu'il s'attribue, fût-il doué de réels talents d'organisateur et de propagandiste. Mao ne serait pas devenu ce qu'il est aujourd'hui sans les aptitudes nécessaires, mais le culte délirant de sa personnalité indique ses limites, dévoile une médiocrité que l'on connaît aussi par ses actes gouvernementaux et par ses œuvres écrites, «choisies» et corrigées après coup. Khrouchtchev en a vu d'autres avec Staline et doit savoir attendre : les vociférations chinoises sur l'impérialisme américain servent sa diplomatie et les échecs économiques de Mao lui procurent des satisfactions sans mélange. Les « dissemblances» jugées tolérables, ou bonnes à entretenir, à l'intérieur du « camp socialiste», ne mettent pas l'idéologie en cause. La prétention insane de Mao en matière de communes agricoles relève de sa mégalomanie, non de l'idéologie. Il n'était pas difficileà Moscou, et partout ailleurs, de prévoir le désastre actuel : Staline aussi avait provoqué la famine en collectivisant à tort et à travers. En outre Mao a sans nul doute l'ambition dé prendre Formose, croyant que les choses se passeraient comme en Corée ; mais il dépend étroitement de Moscou pour le matériel de guerre, donc doit se tenir tranquille, tout en déchaînant ses violences verbales qui impressionnent les profanes aux Nations Unies, mais sûrement pas Khrouchtchev. A Pékin comme à Moscou, la censure s'exerce quelque peu sur la littérature relativement pacifiste des uns, outrageusement belliciste des autres, et cela se comprend sans motifs idéologiques : au niveau du progrès technique en URSS, l'éventualité- d'une dévastation atomique ne serait pas un stimulant au travail ; en Chine, les dirigeants ont surtout besoin de branle-bas de combat, de tension permanente, dans la phase actuelle du régime. De Varsovie et de Belgrade abondent les informations fausses et les interprétations tendancieuses, conformes aux intérêts de la «nouvelle· classe» au pouvoir dans ces États communistes sui generis, qui présentent les dissemblances soviéto-chinoises comme un antagonisme, un état de rupture virtuelle. Les _invectivesoutrancières et insincères de Mao à l'adresse de Tito sont déchiffrées comme visant Khrouchtchev, ce qui signifierait une rupture non pâs virtuelle, LE CONTRAT· SOCIAL mais effective. Il faut une méc·onnaissance totale du communisme contemporain pour· le croire. Mao ne vise ni Khrouchtchev, ni même Tito, quand il vitupère le révisionnisme yougoslave, mais les «droitiers» de son propre parti, c'est-. à-dire les gens raisonnables qui désapprouvent ses extravagances, ses hauts fourneaux et ses communes, ses cent fleurs et son vent d'Est. Les dissemblances verbales, oratoires ou gesticulaires, n'entament point la solidarité profonde des deux empires totalitaires, solidarité de principes et d'intérêts, illustrée par des actes en toutes circonstances décisives, comme à propos de la Hongrie et du Tibet, les dernières en date, et comme aux Nations Unies où Khrouchtchev mène grand tapage pour faire admettre la Chine communiste, pour faire exclure la Chine nationaliste. Il ne s'ensuit pas que le big brother soviétique fasse preuve de désintéressement sur le plan économique dans ses rapports avec le cadet chinois : « les borts comptes font les bons amis », l'aide technique s'échange âprement contre des produits agricoles après de laborieuses discussions, les affaires communistes sont les affaires capitalistes, aucun des deux pays n'a de« surplus» à écouler car, Dieu merci, ils ignorent les « crises de surproduction ». ~ Les Chinois n'ont sans doute pas oublié le pillage éhonté de la Mandchourie par Staline. Leur ressentiment et leur méfiance à l'égard des «Blancs »n'épargnent certainement pas les Russes. Il est peu probable que ceux-ci se soient conduits avec tact envers leurs parents pauvres de couleur jaune. On sait que les étudiants chinois en URSS font bande à part, ne sourient jamais, ne fréquentent personne, rongent en silence le granit de la science et repartent sans susciter de regrets ni montrer de gratitude, ce qui laisse mauvaise impression dans la grande famille. Il en résulte des griefs mutuels qui se traduisent obliquement dans des ratiocinations théoriques étayées sur des extraits de Lénine, mais n'affectent pas la parenté. organique. Ce sont là des «contradictions » mineures comme Mao, grand spécialiste, en a plein son sac. Mais en conclure au «conflit idéologique » serait nourrir de funestes illusions et tomber dans les pires erreurs qui égarent les nations occidentales désorientées ; ce serait tenir Khrouchtchev pour. plus libéral que Mao, et croire que celui-ci .donne des ordres à celui-là; ce serait consentir à Khrouchtchev des concessions injustifiables (lui livrett Berlin ?) sous prétexte de faire pièce à son partenaire ; ce serait souscrire à la fiction d'une Chine assez forte pour se détacher de l'URSS et pour risquer une guerre qui anéantirait la civilisation tout entière. Ce serait enfin ·s'incliner sous le souffle du vent d'Est chargé · des vaines menaces de Mao à qui l'évangéliste a déjà. répondu : «Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit; mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va. » B. Souv ARINE.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==