,, B. SOUVARINE Puisque cette nuance a pris une telle valeur dans l'argumentation de certains soviétologues, il s'agit de savoir ce qu'elle signifie au juste. Précisément sur ce point, le rapport de W. Ulbricht déjà mentionné nous renseigne : « La délégation du parti communiste de l'Union soviétique a demandé qu'on s'abstienne de toute formule indiquant que ce parti se trouve à la tête du mouvement communiste ·mondial. Mais il n'existe cependant aucun doute que le parti communiste de l'Union soviétique soit le centre du mouvement communiste mondial. .. » Ainsi l'initiative vient de Khrouchtchev et consorts qui préfèrent « l'avant-garde », ou « le centre », à « la tête », tandis que le Jen,minJibao dit « le pivot»... Satisfaction a été accordée à Khrouchtchev, non à. Mao, ce que va confirmer Khrouchtchev en personne. En effet, dans son rapport du 6 janvier signalé plus haut, Khrouchtchev y insiste d'une manière, à première vue, inintelligible : Il convient d'indiquer qu'à la Conférence, la délégation du parti communiste de l'Union soviétique a exposé son point de vue à propos de la formule selon laquelle l'Union soviétique serait à la tête du camp socialiste et le parti communiste de l'Union soviétique à la tête du mouvement communiste (...) La délégation du P.C.U.S. a proposé de ne pas inclure ces formules dans la Déclaration ni dans les autres documents du mouvement communiste (...) De fait, le parti communiste de l'Union soviétique ne dirige pas les autres partis (...) Tous les partis communistes sont égaux et indépendants (...) La Déclaration souligne que le parti communiste de l'Union soviétique a toujours été et reste l'avant-garde reconnue du mouvement communiste mondial (...) Le fait qu'on nous· dise « à la tête » ne donnerait aucun avantage à notre parti ni aux autres. Au contraire il n'en résulterait que des difficultés. A quoi tend ce lourd verbiage qu'il a fallu beaucoup alléger ici pour le rendre lisible ? L'explication est à rechercher non à Pékin, mais à Washington. Le 6 octobre 1959, M. Christian Herter, secrétaire d'État, répondait lors d'une conférence de presse à une question relative aux divergences entre Moscou et Pékin en politique étrangère : «Tant que l'URSS maintient le point de vue qu'elle est à la tête du bloc communiste et tant qu'elle insiste, comme elle paraît le faire, chaque fois que les leaders russes vont à Pékin, pour que les Chinois reconnaissent ce leadership », les États-Unis «rendront Moscou responsable des actes des autres nations communistes » (journaux du lendemain). Deux jours après, M. Douglas Dillon, sous-secrétaire d'État, renouvelait cet avertissement dans un long discours dont les termes étaient pesés, rédigés d'avance (N. Y. Times du 8 octobre 1959). Rappelant que Khrouchtchev, à Pékin, lors du dixième anniversaire du régime de Mao, avait discouru trois fois sur le thème de la paix et du désarmement, il constatait ce qui suit : Je regrette d'avoir à dire que la réaction communiste chinoise initiale n'a pas été encourageante. Car les . Bib.lioteca Gino Bianco 77 autorités communistes chinoises ont fortement révisé les discours du président Khrouchtchev dans les émtssions de leur radio. Ils ont supprimé les critiques de Khrouchtchev contre « éprouver le système capitaliste par la force», contre les « guerres de rapine» et contre « imposer le socialisme par la force des armes » (...) Néanmoins nous devons encore espérer que les seigneurs communistes chinois, à la réflexion, prêteront attention à l'avis de l'Union soviétique dont ils reconnaissent eux-mêmes le leadership sur le mouvement communiste international (...) De spéciale importance sont les attaques multipliées des communistes chinois dans leur propagande contre les États-Unis en même temps qu'ils soulignent leurs liens étroits avec l'Union soviétique et leur subordination à leur partenaire supérieur dans ce qu'ils dénomment le « grand camp de la paix, de la démocratie et du socialisme avec l'Union soviétique à sa tête». Si nous devons croire les communistes quand ils reconnaissent maintes fois eux-mêmes le leadership soviétique, les hommes du Kremlin doivent partager la responsabilité des actions de Pékin. On comprend pourquoi Khrouchtchev, et non Mao, a décidé de substituer «l'avant-garde» à «la tête», ce qui ne devrait tromper personne, sauf les dupes incurables : il ne s'agit que de faciliter son jeu politique et diplomatique. Le «conflit idéologique» n'a rien à y voir, pas plus qu'en maintes autres circonstances où des experts incompétents, des commentateurs profanes en matière communiste et surtout des publicistes touche-à-tout (sans parler des agents au service de Moscou) veulent l'introduire au mépris du bon sens. Il est impossible de passer en revue toutes ces circonstances, mais l'exemple ci-dessus vaut en général, outre qu'il montre ce que pourrait Washington en entrant résolument dans la guerre politique. * )f )f IL y A sans nul doute une campagne de presse systématique pour accréditer le mythe du << conflit idéologique », même et surtout après la Conférence internationale de novembre. Là encore, il faut se borner à un exemple propre à caractériser les procédés mis en œuvre. On le prendra dans le New York Times, organe des plus responsables de ladite campagne d' appeasemen,t, ou d'intoxication, qui tend à servir la diplomatie soviétique dans sa manœuvre de subversion sous le couvert de la-cc coexistence pacifique ». Ce journal influent, à qui tant de confrères empruntent, publiait le 3 février dernier un assez long article intitulé : «Moscou censure un document de Pékin. La Pravda supprime des parties d'une résolution qui heurtent les vues soviétiques. » Autrement dit : le « conflit idéologique» bat son plein. L'article impute à la Pravda . du 26 janvier huit coupures dans une résolution adoptée par le Comité central du P.C. chinois le 18 de ce mois, ce qui en atténue la virulence et «suggère que les conflits entre les deux partis communistes, loin de se résoudre s'approfondissent». La Pravda a conservé trois références aux États-Unis, dans le goût de celle-
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==