76 Le quarante-troisième anniversaire du régime soviétique allait offrir l'occasion d'un rallye général des partis communistes à Moscou et le prétexte, en Occident, à un regain de spéculations sur le «conflit idéologique ». Rien, ou presque, n'a transpiré de la conférence qui a siégé pendant trois semaines au Kremlin, équivalent d'un congrès de la IIIe Internationale ;?ù, les ~élégués dissertent de tout un peu, sauf d 1deolog1e.Seuls Khrouchtchev, Souslov, Ponomarev à Moscou et W. Ulbricht à Pankow (Neues Deutschland, 18 décembre), ont fait semblant d'en rendre compte, sans révéler grand-chose. Cependant quelques remarques à ce sujet ne seront peutêtre pas inutiles à l'intelligence des rapports entre les deux principaux États communistes. * .... UNE CARACTÉRISTIQUE essentielle du parti · fondé, dressé, façonné par Lénine, caractéristique accentuée depuis,.que ce parti ~e confond avec un pouvoir et un Etat, enfin souhgnée à l'extrême par Staline dont Khrouchtchev et Mao sont les disciples, est que sa pensée doctrinale s'élabore à l'origine dans un « cercle clandestin de dirigeants » pour se transmettre de haut en bas, du sommet à la base, par les cadres intermédiaires. Le petit cercle originel étant devenu gouvernement (Politburo, Présidium) et les affaires du Parti devenues affaires d'État, ce qui fut vrai jadis et naguère est encore plus vrai de nos jours. On ne saurait donc supposer qu'un «conflit idéologique » de quelque · importance, réservé par définition à un cercle très restreint des plus puissants personnages, ait été débattu devant un meeting de centaines de militants parmi lesquels des envoyés du Honduras, de Chypre, du Luxembourg et de Saint-Marin. Si un tel conflit existe, il n'est traité qu'en très haut lieu. S'il en a été question à la Conférence de novembre, cela n'a pu être que par allusions assez vagues indiquant que les intéressés se sont déjà mis d'accord. Dès son arrivée à Moscou, le chef de la délégation chinoise formulait (5 novembre) les trois points qui serviront de leitmotiv durant tout le mois et les mois suivants : « empêcher les impérialistes de provoquer une nouvelle guerre mondiale, réaliser la coexistence pacifique»; « les peuples chinois et soviétique ont forgé une amitié, une union indestructibles et éternelles » ; « renforcement de l'unité du camp socialiste à la tête duquel se trouve l'Union soviétique». Liou Chaotchi ne faisait ainsi que répéter la teneur du télégramme qu'il avait signé peu auparavant avec Mao et deux autres. Le même jour, à Pékin, Tchou En-lai tenait le même langage, affirmant que « le peuple et le gouvernement chinois ont toujours préconisé la coexistence pacifique » et que «le camp socialiste a l'Union soviétique à sa tête». Le 7 novembre, l'éditorial du Jenmin Jibao recommence : « La grande famille du socialisme ayant à sa tête l'Union soviétique (..•) Pour LE CONTRAT SOCIAL parvenir à la coexistence pacifique entre pays de systèmes sociaux différents... » Tout cela précède l'ouverture de la Conférence. Contrairement aux conjectures répandues à la légère par la presse occidental~ dans son ensemble~· la durée de la Conférence et le nombre des participants n'indiquaient nullement son importance, mais plutôt l'inverse. Encore une fois, ce n'est pas de cette façon que l'oligarchie communiste traite les affaires sérieuses. En durée comme en nombre, la conférence rappelle les précédents congrès du Comintern, sans l'improvisation et la sincérité du temps de Lénine, et l'on ne risque pas de se tromper en s'appuyant sur la connaissance du milieu, de ses mœurs, de sa technique pour concevoir ce qui s'est passé : une centaine ou deux d'orateurs se sont succédé à la tribune, récitant leurs lieux communs habituels (d'un intérêt tel que Moscou n'ose pas en publier le compte rendu); les cadres supérieurs ont confabulé dans les commissions, étant entendu que les décisions de principe furent prises en petit comité ; la commission de rédaction a dû longuement peiner, pour ne rien omettre, sur la r.c Déclaration» interminable qui a paru dans la Pravda du 6 décembre et dont les auteurs ne rachètent pas la pauvreté par la longueur. Ce factum reproduit et juxtapose tout ce que les communistes ressassent depuis des années, tous les clichés, les slogans, les banalités qui emplissent leurs journaux et leurs éditions, en particulier la phraséologie reconnaissable· dans le rapport de Khrouchtchev au XXe Congrès de son parti (1956) ainsi que dans le Manifeste de 1957 auquel Mao avait mis la main, lors du quarantième anniversaire de la révolution d'Octobre. On y chercherait en vain une idée originale ou intéressante. Pourtant les virtuoses du « conflit idéologique » ont décelé une phrase qu'ils interprètent comme le signe d'une reculade de Khrouchtchev devant Mao ; elle mérite qu'on s'y arrête à titre d'exemple, moins pour réfuter leur interprétation arbitraire que pour montrer comment une notion préconçue peut fausser lef jugement. Tous les messages et discours de Mao et de ses adjoints avant la Conférence réitéraient la formule rituelle sur le camp socialiste «ayant à sa tête l'Union soviétique». Ce fut d'ailleurs Mao qui, en 1957, exigea l'insertion de ce poncif dans le Manifeste, d'où s'ensuivit un incident violent avec la délégation yougoslave. Or la« Déclaration» s'exprime ainsi sur ce point: « Les partis communistes et ouvriers déclarent à l'unanimité que le parti communiste de l'Union ·soviétique est et restera l'avant-garde universellement reconnue du mouvement communiste inondial. » Le regard exercé des experts en « conflit idéologique » discerne là une preuve à l'appui de leur marotte, car l'Union soviétique ne serait plus désormais « à la tête», mais seulement « à l'avant-garde».
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