KHROUCHTCHEV ET MAO par B. Souvarine DEPUIS SIX MOIS, tous les faits et les événements relatifs aux relations soviétochinoises ont infligé démenti sur démenti à la théorie occidentale en vogue sur le « conflit idéologique » entre Moscou et Pékin. Dans les articles publiés ici-même, Vent d'Est (numéro de septembre 1960) et Ombres chinoises (numéro de novembre), on avait rassemblé à dessein les textes les plus significatifs et autorisés qui contredisent les nombreuses citations plus ou moins bien comprises, plus ou moins mal interprétées, plus ou moins tirées par les cheveux, collectées systématiquement par les tenants du « conflit idéologique ». Pour des esprits superficiels, la question se pose néanmoins de savoir si le choix des textes cités de part et d'autre ne s'inspire pas de partis pris respectifs, également suspects, et si la vérité ne consisterait pas en une sorte de juste milieu composite, indéfinis- . sable. A quoi la réponse est donnée par la nature même des citations faites et leur correspondance avec des réalités certaines. Celles qui affirment la solidarité plus ou moins « indestructible » des deux partis communistes, conformément à la Constitution de la Chine continentale, qui proclament la prééminence de l'Union soviétique, qui souscrivent à la doctrine de « coexistence pacifique », correspondent effectivement à un état des choses indéniable, dont personne ne peut prévoir la durée. Celles qui dénoncent l'impérialisme américain comme un « tigre en papier », qui évoquent des perspectives de guerre atomique, qui vitupèrent le révisionnisme, ne correspondent à rien de sérieux : ce sont des paroles en l'air qui n'engagent pas, qui ne peuvent aucunement se traduire en actes, qui ne révèlent qu'impuissance. Autant en emporte le vent d'Est. Les tenants du « conflit idéologique » ne prennent pa~ garde de distinguer entre la littérature de propagande, jactance à usage interne dont Mao et Cie ont besoin pour justifier leur régime ainsi que pour exiger du peuple chinois un labeur exténuant, et les déclarations qui engagent, qui lient, qui ont force de loi pour ceux qui les prononcent. Au cours de la période Biblioteca Gino Bianco écoulée depuis les derniers anniversaires des révolutions d'Octobre, de telles déclarations n'ont pas manqué, concordantes, et cadrant bien avec l'évidence. Encore faut-il faire la part de la logomachienégative et celle de la politique positive. A la veille du onzième anniversaire du régime communiste en Chine, Tchou En-lai avait discouru à Pékin en prônant les principes de la « coexistence pacifique », la solidarité des pays socialistes « sous la conduite de l'Union soviétique» et en terminant par un hommage à Khrouchtchev. A Moscou, l'ambassadeur Liou Hsiao tenait le même langage, sans préjudice de vains propos injurieux à l'adresse de l'Amérique (journaux du 1er octobre). Le lendemain, Tchen Yi, ministre des Affaires étrangères, renouvelle devant une foule immense les affirmations antérieures en faveur de la « coexistencepacifique», tout en attaquant (verbalement) l'impérialisme et le capitalisme américains (journaux du 3 octobre). Le 23 du même mois, un message signé de Mao, Liou Chao-tchi, Tchou-teh et Tchou En-lai, assure Khrouchtchev d'une « amitié fraternelle, éternelle et inviolable », souligne que le communisme peut triompher sans guerre et exalte « la puissance croissante des pays du camp socialiste, dirigés par l'Union soviétique» (journaux du 24 octobre). A la télévision britannique, Tchou En-lai répète le 3 novembre : « La solidarité des deux grands pays socialistes, la Chine et l'Union soviétique, constitue le rempart de la paix mondiale »; et sur un ton modéré, parlant pour des Anglais, il invite les Américains à évacuer Formose, pour améliorer (sic) les relations sino-américaines. Dans ce flot de paroles rebattues et fastidieuses, il est facile aux obsédés du « conflit idéologique » de ne retenir que la rhétorique belliqueuse et sans portée visant un ennemi imaginaire. Mais si les mots ont un sens, la variété d'expressions ad usum populi répondant aux besoins politiques de partis frères ou cousins qui opèrent dans des situations différentes ne mettent pas l'idéologie en cause. Autant dire qu'un orchestre devrait se composer d'une seule espèce d'instruments et ne jouer que les mêmes notes pour éviter la moindre dissonance.
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