Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

72 d• la patrie, de la religion, du socialisme, de. la laicité ou de tout autre idéal très noble. Du moins personne ne met-il en doute que le ~ystème présidentiel ne peut manquer, à de certains moments, d'opposer le Président à l'Assemblée sans q~'aucune conciliation soit possible. Un tel confht, en système présidentiel, se produit sous une forme aiguë dans un délai q~ v~rie ~storiquement <l:e quelques mois à une qwnzame d années, et condwt nécessairement à une catastrophe. La seule façon d'éviter une telle fin, c'est l'irréalisable réseau de garanties du régime américain. Mais on nous en offre à présent d'inédites. Un ,a~versair,e.notoi_re du régime actuel propose un reg1me pres1denttel où, en cas de conflit, le Président et l'Assemblée retourneraient devant les électeurs. C'est à la fois ingénieux et, par.faitem~nt a~st!ait. Colll?1~ bien d'autres mecan1smes 1mag1na1res, celu1-c1 a le tort d'être conçu sans tenir compte des circonstances historiques qui régneront lorsqu'on voudra l'appliquer. Sous la IIIe République .on se plaignait qu'en des heures graves pour la nation le pays fût sans gouvernement. Avec le système proposé, il aurait la quasi-certitude d'être, au moment des crises les plus graves, privé à la fois de son gouvernement et de son Assemblée. D'ailleurs, faire des élections au sommet des crises, c'est prendre le pays tout entier pour caisse de résonance du conflit surgi entre ses pouvoirs publics, c'est accorder un avantage extraordinaire aux extrémistes de tous bords. Bref, le mécanisme proposé est à la fois ingénieux et parfaitement inadéquat. C'EST dans les rapports des pouvoirs publics que gît le péril majeur des régimes présidentiels. Mais quand, par quelque miracle d'ingéniosité, on trouverait des palliatifs à cela, un autre inconvénient très grave n'en subsisterait pas moins, qui accroîtrait considérablement la confusion dans les périodes de crise : c'est qu'un régime présidentiel instauré sans bipartisme préalable nous vaudrait à coup sûr, en certaines occasions, de fort mauvais présidents et une fort mauvaise Assemblée. On nous reparle aujourd'hui encore du prestige dont jouissait M. Mendès France en 1956. Mais on oublie assez étrangement que, précisément le 2 janvier de cette année-là, ses candidats recueillirent moins de voix que ceux d'un certain M. Poujade. Qui oserait donc affirmer que les Français seront en toutes circonstances moins enclins à donner leurs voix à un rustre audacieux que les Allemands de 1933 ? Qui oserait affirmer qu'en 1956 un second tour de scrutin n'aurait pas précipité vers un M. Poujade quantité d'électeurs indécis ou abstentionnistes ? Certes, les constitutionnalistes sont seuls à croire que le temps des Boulanger est révolu. L'histoire montre surabondamment que quelques circonstances malheureuses suffisent à le faire renaître. Seul un bon régime politique peut, Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL lorsque l'inquiétude ou la peur s'empare des esprits, tenir les foules électorales à l'écart des engouements absurdes et des espoirs irraisonnés. Si l'on ne veut pas penser qu'un Poujade aurait sa chance, du moins ne pourra-t-on douter que nous verrions élire, à une majorité misérable, quelque président sans autorité ni prestige et sans parti majoritaire pour le soutenir. Or il aura, en face de lui, une Assemblée qui ne pourra manquer d'être confuse, puisqu'elle reflétera la confusion politique nationale dont il sera luimême le produit. Nous aurions alors une situation proche de celle du Directoire, l'extrémisme prendrait des forces, et le régime n'aurait plus qu'à attendre le coup de grâce d'un Bonaparte ou d'un Lénine. Le projet gouvernemental Nous ne terminerons pas cette étude sans dire quelques mots du projet de réformes attribué à tort ou à raison à notre Premier ministre. Mais pour le bien comprendre, il faut d'abord rappeler un des traits fondamentaux de la Constitution. Notre Constitution distingue les périodes normales et les temps exceptionnels. Nous avons, dans l'article déjà cité, expliqué pourquoi : nos régimes précédents ont dû très fréquemment, pour surmonter une confusion politique d'où l'on ne parvenait pas à sortir par la voie parlementaire habituelle, faire appel à quelque retraité de la politique ou de l'armée, qui était ou passait pour être au-dessus des partis, grand homme, faux grand homme ou faux bonhomme : un Poincaré par exemple (en 1926), un Doumergue (en 1934), un Pétain (en I 940) ou un de Gaulle (en 1958). Nos Constituants ont sagement voulu que de semblables crises pussent désormais être résolues dans le cadre constitutionnel, et ils ont créé, au profit du Président, une manière de dictature romaine qui lui permette de remettre en marche les institutions « dans les moindres délais». Pour le cas où quelque réforme fondamentale apparaîtrait alors nécessaire, notre Constitution prévoit la possibilité de la faire voter dans les mêmes conditions que les lois ordinaires, en la faisant ensuite confirmer par un référendum (sinon une réforme constitutionnelle doit être votée à la majorité des trois cinquièmes par les deux Chambres réunies en Congrès). Ces dispositions définissent ce que nous avons appelé une fonction présidentielle, fonction destinée à relayer, dans les périodes troublées, la fonction gouvernementale dont nous avons, plus haut, rappelé la structure essentielle. Il va de soi que le Président n'a pas besoin d'être l'élu du suffrage universel pour exercer la fonction présidentielle. Dans les temps de confusion, nous avons vu à maintes reprises les querelles politiq_ues faire silence pendant les quelques mois nécessaires pour que la vie parlementaire pût reprendre so~ cours ·normal. Et pourtant l'homme qu'on était

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