YVES LÉVY débouche sur le Deux-Décembre, lequel aboutit à Sedan. Mais en France, n'avons-nous pas, à bien voir les choses, d'autres exemples au moins aussi dignes de réflexion ? Le régime présidentiel, c'est le régime de la séparation des pouvoirs. On peut penser que le président n'est dangereux que parce que, élu du suffrage universel, il se sent quelque droit d'imposer sa volonté à la représentation nationale. Mais considérons notre Première République : les Constituants ont pris soin de diviser le pouvoir exécutif entre cinq Directeurs, lesquels sont les élus non de la nation, mais des· représentants de la nation. Les Constituants ont scrupuleusement appliqué la leçon de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs. Le résultat est admirable : les élections étant annuelles, chaque année les Directeurs font un coup d'État contre le corps même qui les élit. En quelques années le régime est discrédité, et il laisse la place à une tyrannie qui s'achève à Waterloo. Et la plupart des Français se réjouissent de cette catastrophe nationale, que Chateaubriand par inadvertance appelle une victoire (dans un texte que d'ailleurs il corrigera quelques années plus tard). La France a-t-elle fini de nous fournir matière à réflexion ? Point du tout. Voici un autre cas, celui de notre première Constitution. On y avait déjà suivi à la lettre la leçon de Montesquieu, et même plus fidèlement qu'il ne fut possible de le faire ensuite. Montesquieu, en effet, pensait à la monarchie où il vivait, et où il espérait acclimater les institutions anglaises. Il pensait tellement à la France qu'il ne comprit pas très bien le système anglais et, aveugle au gouvernement . de cabinet, crut voir une séparation des pouvoirs qui avait disparu avec les Stuarts. En France, on était contraint de tenir compte du pouvoir royal, et il ne pouvait être question que de le limiter, d'obliger le roi -à prendre l'avis et à obtenir l'accord de représentants de la nation. C'est là ce que mit en formules l'Assemblée nationale. La Constitution de 1791 définissait donc un régime de séparation des pouvoirs avec chef du pouvoir exécutif inamovible. Puisqu'il était inamovible, on usa des grands moyens, et sans beaucoup attendre : au bout d'un an, on le décapita. Est-ce là tout? Non. Sous la Restauration, sous la monarchie de Juillet, nous avons fait l'expérience du régime parlementaire. Mais s'agissait-il d'un régime parlementaire tout à fait pur ? Non. Il y avait là une once de système présidentiel : l'existence d'un roi inamovible qui intervenait personnellement dans la politique. On sait le résultat : Charles X, puis Louis-Philippe s'en allèrent mourir en exil. Donc, si l'on fait le bilan de notre expérience nationale depuis la chute de la monarchie absolue, on apercevra que nous avons connu tous les degrés de la séparation des pouvoirs, avec président inamovible ayant droit de veto (Louis XVI), Biblioteca Gino Bianco 69 avec président inamovible, mais à pouvoirs restreints (Charles X, Louis-Philippe), avec président élu au suffrage universel (Louis-Napoléon), avec présidence collégiale (le Directoire), et qu'aucun de ces régimes n'a été viable. On verra aussi que celui qui a duré le plus longtemps - la monarchie de Juillet - est précisément celui où le régime parlementaire a été le plus proche de s'affranchir complètement des idées de Montesquieu. On constatera enfin que le seul régime qui ait vaillamment résisté aux assauts de !'Histoire (et il en a connu de rudes), ce fut la IIIe République, cette IIIe Répuçlique qui vivrait sans doute encore si notre Etat-Major avait en son temps lu et compris un petit livre éclatant de flamme qui s'appelait Vers l'armée de métier. La chose est singulière et mérite réflexion. Elle est singulière, car si, à un étranger tout à fait ignorant de l'histoire de France, on décrivait la façon dont ont fonctionné nos divers régimes, et si on lui disait ensuite : l'un de ces régimes a duré un an, un autre trois ans, les autres quatre ans, seize ans, dix-sept ans et demi, et l'un d'eux a duré soixante-cinq ans, si on disait cela à cet étranger et qu'on lui demandât lequel de ces régimes, à son avis, a duré soixante-cinq ans, il ne nommerait certes pas la IIIe République. A ce régime de perpétuelle confusion politique, de querelles personnelles, d'intrigues incessantes, de crises ministérielles semestrielles, il serait tenté d'accorder un an de vie, ou trois, ou quatre, certainement pas plus. Cela est d'une telle évidence qu'on peut être tenté de voir, dans notre expérience nationale, un étonnant mystère. Or il n'y a là aucun mystère, et notre histoire devient d'une merveilleuse transparence si l'on prend garde à la seule chose qui compte : c'est que sous la IIIe République, et sous la IIIe République seule, il y a eu une totale unité du pouvoir. Si d'ailleurs on examine la durée des autres régimes, on aperçoit aussitôt qu'elle est, presque mathématiquement, inversement proportionnelle au degré de la séparation des pouvoirs. Le régime présidentiel aux États- Unis IL Y A, on le voit, une immense expérience historique - française, allemande, sud-américaine - qui plaide contre le système présidentiel, tant dans sa forme extrême que dans ses formes atténuées. Et en face de tant de régimes secoués de crises effroyables, un seul exemple retient l'attention de nos docteurs, celui des États-Unis. Est-on donc sûr qu'il soit si favorable ? Les États-Unis, certes, sont un grand pays, libre, riche et puissant. Mais la France si mal gouvernée du xv1ue siècle n'était-elle pas, elle aussi, riche et puissante ? Richesse et puissance ne signifient rien. Vers la fin du siècle dernier, W. Wilson, professeur de droit constitutionnel, notait que le pouvoir n'est pas toujours exercé par lé Prési-
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