Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

QUELQUES LIVRES vérité énoncée au sujet de Fourier, que l'auteur suppose dénué de tout sens psychologique. Or Fourier n'était pas idiot, mais simplement fou. Ce qui ne l'empêchait nullement d'être un psychologue, de montrer même du génie dans sa théorie des passions qui annonce la conception psychanalytique de la« sublimation». Mais Cioran, de parti pris, ne veut connaître que l'avilissement, non la sublimation. Nous ne pouvons en rester là. Pour revenir au motif initial, supposons que le marquis feigne d'entrer dans les vues du comte, son interlocuteur. Au lieu d'encourager les Français à devenir « encore plus républicains », il entreprend de les séduire par l'éloge de la tyrannie, mais toujours. à sa manière, soutenant l'institution liberticide comme il avait soutenu la liberté, c'est-à-dire avec l'allégresse de la branche charitable qui supporte un pendu. On en entendrait de belles... C'est effectivement ce que fait entendre Cioran. Mais ce livre retors n'est pas fait pour les simples. A. P. Une biographie intellectuelle LÉON EMBRY: Mémoires impersonnels. Lyon 1960, Les Cahiers libres, 142 pp. IMPERSONNELSé,on Emery les a voulus à ce point, ses mémoires, qu'on apprend par hasard (en prison, il avait « réputation singulière parce qu'il lisait en Braille ») que la mauvaise vue dont il souffrait dans sa jeunesse est devenue cécité totale et que c'est un aveugle qui nous a donné depuis dix ans vingt volumes. Parfois, le lecteur historien s'irrite et, dans sa curiosité un peu vaine, regrette qu'il n'y ait pas, ici ou là, quelques noms. Mais pour ceux dont le chemin a croisé sa route comme pour lui-même, Emery est demeuré inflexible en sa résolution qui était «de ne rien dire» de lui (et aussi des autres) «qui ne fût chargé d'une certaine valeur représentative». C'est donc ici l'autobiographie d'un esprit, 1et ceux qui y jouent quelque rôle sont, eux aussi, dépouillés des accidents de l'existence. Mais un homme comme Emery ne se dérobe pas, il se dévoile au contraire en retranchant de sa biographie l'anecdote et l'accidentel. Montaigne non plus, somme toute, ne nous dit pas grand-chose de lui-même et de sa vie intime, et pourtant Pascal n'avait pas tort de croire qu'en ses Essais il s'était peint. Ces mémoires sont d'abord le schéma d'une vie, significative en sa simplicité. Fils d'un maçon 9ui « ne put jamais qu'assurer au plus juste 1existence de sa famille », élève d'une humble école de quartier qui, auprès de son obscure demeure, lui faisait l'effet d'un monde vaste et clair, mais où il ne reçut qu'une formation bien étriquée dans sa solidité, quoique l'on fût alors à Biblioteca Gino Bianco 59 l'âge d'or de l'enseignement primaire, « normalien-primaire», professeur d'école normale, militant syndicaliste et pacifiste qui contribua par « quelques centaines d'articles aux dunes de sable que déplace ou disperse le vent tourbillonnant de la politique» (p. 131), « ennemi du peuple» dans les années troubles de l'après-guerre, et vivant depuis lors, comme Ulysse revenu à Ithaque, ou Candide chez les Turcs, « sinon en une retraite totale, du moins dans une position de retrait » (ibid.), c'est à peu près tout ce qui nous est dit de l'homme, et cela peut paraître bien mince, Mais chacune de ces étapes biographiques est aussi le moment d'une expérience nouvelle, d'un enrichissement intellectuel, et l'on suit un esprit dans son effort continu d'extension et d'ascension, encore que le mémorialiste, méditant sur son passé, se soucie parfois moins de retracer les progrès de sa connaissance et de sa vision du monde que de juger, avec son regard d'aujourd'hui, les épreuves traversées. Que signaler plus particulièrement de ce livre dont la formule fait en quelque sorte une somme ? On pourrait en simplifiant, en retranchant beaucoup, grouper sous trois rubriques les réflexions d'Emery, ses expériences. L'une serait consacrée à l'enseignement, et c'est un jugement d'une grande sévérité qu'Emery porte sur lui, sur l'esprit de l'école primaire, fermé si longtemps (et encore aujourd'hui) à la poésie, à la musique, à toutes les manifestations de l'art; sur la médiocrité du savoir dispensé aux futurs instituteurs, aussi bien en fait de philosophie que d'esthétique; sur l'évolution de la pédagogie, sur la facilité en réalité inquiétante avec laquelle les intellectuels, et tout d'abord ceux des universités, emboitèrent le pas aux violents et aux fanatiques, comme pour montrer que « les titres, le savoir, le talent n'impliquent aucunement droiture et courage, encore moins détachement des biens et des vanités» (p. I 19). Sans doute ne désespère-t-il pas tout à fait de l'école publique puisqu'il conseille des remèdes, mais ceux-ci ont toutes chances de paraître utopiques. Ne demande-t-il pas qu' « elle recrée en elle, pour elle, un ordre professoral comparable à une cléricature» (p. 95) et qu'au lieu de réduire l'enseignement à· n'être qu'un métier,· qu'une technique comme les autres, on tente « d'insuffler à l'élite de la corporation magistrale les croyances philosophiques qui furent de tout temps liées à l'idée même de l'école» (p. 97) ? Autre thème : le socialisme, entendu au sens large. L'exemple de son père avait déjà prémuni Emery contre le marxisme, car cet authentique homme du peuple ne professait en aucune façon, et pas davantage on ne professait autour de lui, les opinions et la morale qui, selon Marx et ses disciples, auraient dû être les siennes sous prétexte qu'elles seraient celles de « sa classe». Ce fut seulement après la ~uerre de 1914-1918 qu'Emery, qui ne se sentait pas tenu d'idéaliser

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