QUELQUES LIVRES les militants dans la masse : ils ne combattent pas pour une émancipation collective des travailleurs, mais pour l'instauration d'un régime qui leur vaudrait des pouvoirs et des privilèges refusés, après comme avant, au commun des ouvriers. Les auteurs aboutissent à une conclusion d'une importance capitale : dans son ensemble, la physionomiede la classeouvrière n'est plus déterminée comme jadis par une minorité agissante, mais par une majorité résignée. Contrairement aux affirmations de maints sociologues, le prolétariat n'est pas devenu pour autant conformiste. Il apparait surtout comme une classe malheureuse, beaucoup plus malheureuse qu'une opinion superficielle ne le laisserait supposer. \ PAUL BARTON. Le fait colonial HENRI BRUNSCHWIG : Mythes et réalités de l'impérialisme colonial francais. Paris 1960, Libr. Armand Colin, 206 pp. CE LIVREn'est pas sans souffrir de quelque indécision; on ne voit pas en toute clarté ce que fut le dessein de l'auteur. Constatant l'absence de toute étude précise et complète sur la colonisation française, a-t-il voulu combler cette énorme lacune ? En ce cas il aurait dû développer considérablement l'essai nerveux et succinct qu'il nous propose. Voulut-il se limiter strictement, comme en une expérience démonstrative, aux seules · entreprises françaises de la période 1880-1914 ? Il est naturellement entraîné bien des fois hors de ce cadre, conduit, ce dont nul ne se plaindra, à revenir vers l'Angleterre libérale, puis impérialiste, ou à rappeler les initiatives dont naquit le Congo belge. Certes, rien de tout cela n'est s~s intérêt, mais la cohésion du texte n'y gagne nen. En définitive le lecteur se trouve en présence d'une thèse au moins critique et négative qui mérite grande attention. Selon un lieu commun historique dont les marxistes ont tiré grand profit, les conquêtes coloniales auraient été depuis quatre sièclesla condition du développement économique de l'Occident; l'or, les épices, la stimulation du commerce, la traite des Noirs, l'exploitation agricole, le peuplement, la mise en valeur et la création de marchés, qui ne connaît ces têtes de chapitres ? Mais est-il vrai que les métropoles s'enrichissent grâce à l'impérialisme ? Ayant regardé les choses de plus près, M. Brunschwig demeure sceptique. Il croit voir qu'en Angleterre et bien plus encore en France, la colonisation fut longtemps· affaire semi-privée, adventice ou marginale, dont les bénéfices n'allaient qu'à des particuliers, dont les mobiles étaient très divers et les résultats très décousus. Pour que la colonisation s'insère dans la politique B"blioteca Gino B1anco 57 . générale comme en France après 1880, il faut qu'on le veuille, qu'un parti colonial organise sa propagande, que le nationalisme et l'idéologie attisent la flamme, que la stratégie, la géopolitique, la concurrence impériale nourrissent les passions collectives. Enfin, pour parler net, tout cela est-il payant ? Il n'est pas facile d'en juger. Les statistiques douanières tracent la courbe du commerce entre métropole et colonies sans permettre d'évaluer les exportations invisibles et les produits des investissements. Il faudrait d'autre part faire entrer en ligne de compte les dépenses qui, disséminées dans tous les budgets et d'abord les budgets militaires, s'expliquent par l'existence des colonies. On voit bien ce que gagnent des particuliers ou des syndicats d'intérêts, mais que le sort matériel de la nation dépende dans une large mesure de ses colonies, voilà ce qu'il convient de tenir pour problématique. Cette conclusion d'un petit livre piquant et brillant - quoique peu construit - ne manquera pas de faire réfléchir, de remettre en question ce qui pour beaucoup était évident. Repenser le fait colonial, lui restituer la gamme entière de ses causes et de ses significations, le libérer du dogmatisme économique, c'est faire un pas vers une compréhension plus large et plus juste de la vie des peuples. LÉON EMERY. En marge du « Dix-Huit Brumaire» MAxIMILIEN RUBEL : Karl Marx devant le bonapartisme. Paris-La Haye 1960, Mouton & Co, 165 pp. IL NE s' AGIT pas seulement d'un commentaire au classique Dix-Huit Brumaire (1852). L'année où parut cet ouvrage, Marx a commencé de collaborer au New York Tribune, ce qui l'amenait à suivre au jour le jour les événements politiques et sociaux d'Europe. Pour dégager la notion que Marx se faisait du « bonapartisme », M. Rubel a principalement utiljsé les articles publiés de 1856 à 1862, non réédités pour la plupart, qui font l'objet des chapitres I à VII du présent ouvrage. Les autres chapitres (IX à XII) traitent des vues de Marx pendant la dernière période du Second Empire (1863-1870). A Rubel marxologue, on a parfois reproché sa « marxolâtrie » ( qui n'a d'ailleurs rien à voir avec celle des staHniens). Le lecteur pourra se convaincre par ces analyses de textes honnêtes et lucides que pareil reproche serait ici déplacé. Rubel ne cache pas qu'il est difficile de dégager une vue cohérente d'appréciations hâtives, à l'emporte-pièce, toujours inspirées par l'impatience révolutionnaire et le ressentiment contre un personnage qui, selon Marx, s'était placé en travers
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==