Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

54 L'ouvrage est indispensable à qui veut comprendre les difficultés que le régime doit surmonter pour résoudre son problème national. Souhaitons que les auteurs ne tardent pas à faire paraître une étude similaire sur le mouvement national chez un autre peuple musulman de l'URSS. . E. DELIMARS. D'un Empire à l'autre J. LucAs-DuBRET0N: Le Culte de Napoléon, 1815-1848. Paris 1960, Éd. Albin Michel, 468 pp. ENJUIN 1815, Napoléon Jer est vaincu à Waterloo. Trente-trois ans plus tard - en décembre 1848, - le prince Louis-Napoléon est, à une majorité écrasante, élu président de la République. Que dans cette élection le?souvenir de Napoléon ait joué un rôle, cela n'est pas douteux. Que ce rôle ait été décisif, c'est ce que semble penser M. Lucas-Dubreton, puisqu'il n'étudie le « culte de Napoléon» qu'entre ces deux dates, et que son livre pourrait donc passer pour une explication de l'avènement de Napoléon III. Cependant ne le lui faisons pas dire, puisqu'il ne le dit pas, et qu'il évite même toute prise de position, toute idée personnelle sur quelque point que ce soit (hormis l'expression d'une manifeste prévention contre les libéraux de la Restauration). L'auteur s'applique à classer des faits établis, il cite les auteurs dont il utilise le témoignage, donne avec précision toutes ses références. Il s'efforce en outre d'être complet. Tant d'historiens reconstruisent le passé à leur guise, négligent de mentionner leurs sources, faussent les faits et arrangent les textes, qu'on ne peut pas ne ·pas éprouver de la sympathie pour un auteur aussi attentif et scrupuleux. On demeure cependant quelque peu insatisfait devant cette marqueterie de fiches bien reliées. Trop attaché aux aventures politiques du bonapartisme, l'auteur ne s'est sans doute pas assez préoccupé de montrer comment, dans les diverses couches sociales, s'est transmis et transformé le souvenir de Napoléon. Il nous fait suivre de fort près les complots de la Restauration, puis les tentatives du futur Napoléon III pendant la monarchie de Juillet, mais il passe trop rapidement sur les écrits et les images qui ont peu à peu construit la légende de !'Empereur glorieux et martyr. Les écrivains et les artistes sont examinés si superficiellement que l'auteur commet quelques erreurs fâcheuses. Il faut avoir mal lu Courier pour penser qu'il ait pu, même à son corps défendant, devenir « un serviteur de l'idée bonapar- · tiste » (p. 136) : le fameux pamphlétaire n'a· cessé d'accuser la Restauration de prolonger le despotisme de l'Empire. En vingt endroits il rappelle que Napoléon fut un tyran, que sous son règne la France fut un « bagne·».Ailleurs (p. 416), Biblioteca Gino BianGGf-----· LE CONTRAT SOCIAL l'auteur dit l'admiration pour Napoléon du compositeur de la Symphonie en ut mineur.· Il s'agit en réalité de la troisième Symphonie (et non de la·. cinquième), et elle n'a pas été écrite en pensant à Napoléon, mais à Bonaparte, Premier consul et héros de la liberté. Beethoven perdit ses illusions lors du couronnement, et en 1815 il célébra - en musique médiocre il est vrai - la victoire de Wellington. De la génération suivante, M. Lucas-Dubreton ne cite guère que Flaubert et, usant d'une expression de Barbey, il écrit que Flaubert a vécu dans . << la réverbération de Napoléon sur sa pensée » (p. 408). Or il est au contraire curieux d'observer que Flaubert, né quelques mois après la mort du héros, ne pense à peu près jamais à lui. Il est .. exceptionnel que son nom vienne sous sa plume, et s'il le nomme c'est de façon purement accidentelle. La citation faite p. 413 par M. Lucas-Dubreton est tout à fait détournée de son sens et signifie le contraire de ce qu'il croit : à pro_pos d'une opinion de Vigny, Flaubert n'exprime nullement de l'admiration pour Napoléon, mais sa propre conception de la nature du peuple. Ce qui est remarquable, c'est que Napoléon, qui occupe une telle place dans l'horizon d'un Chateaubriand, d'un Hoëné Wronski, d'un Stendhal, d'un Mickiewicz, d'un Balzac, d'un Heine, d'un Hugo - nés entre 1768 et 1802, - qui compte encore beaucoup pour Quinet, SainteBeuve, Barbey - nés de 1803 à 1808, - s'efface déjà avec Gautier - qui, né en 1811, n'a pas connu ni chanté !'Empereur mais seulement les demi-solde, - et qu'il est absent de l'œuvre et de la pensée des écrivains nés après sa chute : Leconte de Lisle, Baudelaire, Flaubert, Banville, etc. Il semble que les intellectuels soient à peu près imperméables à la légende, qu'ils ne soient sensibles qu'à ce qui agit directement sur eux. Ce qui les a précédés ne les touche pas. Le présent seul les atteint. Il est à regretter que M. Lucas-Dubreton n'ait pas cherché à suivre cette évolution des esprits. Il aurait, nous semble-t-il, vu les traits du héros prendre forme chez ses contemporains, mais l'attention se détourner de lui dès la génération suivante. D'un autre côté, il ne faut pas surestimer l'importance des complots .bonapartistes et du bonapartisme lui-même. Malgré qu'en ait l'auteur, le libéralisme semble, sous la Restauration, une force beaucoup plus vivante que le bonapartisme, et une fol'ce croissante, tandis que le bonapartisme dépend de la survivance des demi-solde. L'auteur reconnaît du reste qu'en 1830 le bonapartisme « n'est pas une force organisée» (p. 270). Plus loin (p. 422), il écrit qu'au momentdelarévolution de 1848 « les bonapartistes désorganisés ne jouent aucun rôle effectif». Désorganisés ? Non. Ils . n'ont jamais été organisés, et les tentatives de Louis-Napoléon sont demeurées presque sans écho. En1fait, l'élection du 10 décembre 1848 n~ s'explique pas le moins du monde par l'activité

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