QUELQUES LIVRES fatale du capitalisme (des monopoles) et que l'évolution du système conduira inévitablement, et même rapidement à une période révolutionnaire. Le Finanzkapital se termine par cette phrase : «Dans le formidable choc des intérêts hostiles, la dictature des magnats du capital finira par engendrer la dictature du prolétariat. » Les réformistes n'avaient donc pas plus d'intérêt à approuver la thèse d'Hilferding que celle de R. Luxembourg, l'une et l'autre étant essentiellement révolutionnaires. Elles ont encore en commun de ne fournir aucune preuve concluante d'un lien direct entre l'expansion impérialiste et les guerres entre puissances impérialistes. La fatalité de l'expansion due aux lois économiques . est une chose, une guerre moderne en est une autre. Karl Kautsky affirme avec raison que la nécessité objective, économique, de l'expansion ne se traduit par des conflagrations sanglantes que là où un régime autocratique, soustrait au contrôle populaire, peut se lancer impunément dans l'aventure. Que l'on admette la thèse de R. Luxembourg ou celle d'Hilferding - elles se complètent d'ailleurs bien plus que ne se contredisent, - une chose est certaine : les communistes et ceux d'entre les socialistes qui en déduisaient, ou en déduisent l'« inévitabilité des guerres», ont tort. Il importe de se demander à présent en quoi la théorie de R. Luxembourg peut avoir une valeur pratique à notre époque. L'impérialisme d'hier · liquide ses dernières colonies. Un autre impérialisme, combien plus vorace et plus cruel, menace le monde entier. 11 est d'un tout autre genre, qui n'a rien à voir avec le capitalisme (le terme «capitalisme d'État», répudié d'ailleurs par Hilferding, paraît absolument impropre). Souffrant d'une pénurie chronique de produits, il n'a pas besoin de débouchés pour vendre des excédents. Ce n'est pas dans la surproduction qu'il étouffe, mais dans la sous-production (Boukharine dixit). La théorie d'accumulation ne sera donc d'aucun secours pour l'analyser ; seul le chapitre XXXII de .la 3e partie, qui traite du «militarisme comme champ d'accumulation », peut fournir quelques indications méthodologiques pour étudier les répercussions du surarmement sur la structure économique en général, et sur celle de l'URSS en particulier. D'aucuns seraient tentés de dire que les faits ont démontré la fausseté de la théorie en question. Voici trente ans, la crise mondiale avait semblé la confirmer : le capitalisme était entré dans une f, hase où l'impossibilité de réaliser la plus-value ébranlait jusque dans ses fondations. Mais depuis la fin de la dernière guerre, les pays capitalistes ont vu se détacher de leur sphère d'infl.uencedes régions non capitalistes peuplées de près d'un milliard d'individus. Leurs liens se Biblioteca Gino Bianco 51 sont distendus avec d'autres régions du globe qui leur avaient offert jusque-là d'appréciables débouchés non capitalistes. Un rétrécissement aussi considérable, en une période aussi brève, des possibilités de plus-value n'aurait-il pas dû porter le coup de grâce au capitalisme de l'Amérique du Nord et de l'Europe occidentale ? Au contraire, les crises deviennent moins aiguës, moins générales, au point de n'être plus que de simples «récessions». Le capitalisme a besoin d'un milieu non capitaliste pour réaliser sa plus-value et poursuivre son accumulation. Il a perdu une grande partie de ce milieu à l'intérieur des pays industriels (recul massif des producteurs indépendants : paysans et artisans), et à travers le monde en le réduisant par l'industrialisation, ou en l'évacuant de gré ou de force (Chine, Indonésie, etc.). Ce milieu non capitaliste est pré-capitaliste. Mais à sa place se développe lentement un milieu postcapitaliste, ou tram-capitaliste, à l'intérieur même des pays capitalistes. Le secteur nationalisé des nations industrielles occidentales, sans oublier le secteur coopératif• dont on connaît le rôle en Angleterre, en Belgique et dans les pays scandinaves, représente un débouché extra-capitaliste autrement important que les paysans et artisans de jadis, au pouvoir d'achat bien plus limité. Il faut ajouter à cet « anticapitalisme organisé» une sorte d'anticapitalisme « fonctionnel», constitué par une législation sociale inconnue de R. Luxembourg et par une souple politique de planification. L'une et l'autre agissent précisément sur le partage de la plus-value en fraction consommable et fraction accumulable, ce qui permet d'en finir avec la disproportion fondamentale qui poussait jadis le capitalisme à la surproduction chronique. La théorie de R. Luxembourg reste vraie parce que le capitalisme, tel qu'il subsiste dans les nations industrielles occidentales, continue de coexister et de s'interpénétrer avec un milieu extra-capitaliste. C'est l'extension de ce milieu extra-capitaliste nouveau (post-capitaliste ou transcapitaliste), tant matériel que fonctionnel, qui atténue les contradictions traditionnelles du système. * ,,. ,,. Ce qui :nanque à l'ouvrage de R. Luxembourg, c'est une étude des rapports entre le milieu capitaliste et le milieu non capitaliste~On y chercherait en vain une démonstration théorique de l'exploitation du milieu colonial. Toute la 3e partie, « Les conditions historiques de l'accumulation», abonde en faits concrets illustrant cette exploitation, mais une illustration n'est pas une théorie. La plus-value n'implique pas nécessairement une spoliation. C'est sous cet angle qu'il importerait aujourd'hui d'étudier les rapports entre le capitalisme et ce milieu pré-capitaliste que sont les régions
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