' 1 E. DELIMARS Plan d'État (Gosplan) tout en enseignant dans plusieurs écoles supérieures de Moscou. Membre de l'Académie des sciences en 1931, auteur de plus de 180 ouvrages et articles importants, il reçut en 1942 un prix Staline pour sa participation à un ouvrage collectif, Le Développement âe l'économie nationale dans l'Oural pendant la guerre 7 • Son passé de menchévik rallié pendant la nep le rendait probablement suspect d'hérésie sous le régime stalinien, car il ne publia rien de 1928 à 1944, fut exclu du Gosplan en 1937 lors de la Grande Purge et n'y revint qu'en 1943. C'est donc un vieux social-démocrate à mentalité formée par les principes de l'intelligentsia prérévolutionnaire pour laquelle la vérité scientifique était intangible. S'il dut se conformer à « l'esprit du Parti», ce fut probablement à son corps défendant et en y faisant quelques entorses comme dans le cas qui nous occupe. Son article « A propos de l'efficacité du nouveau matériel technique», daté de 1957, n'a été publié qu'en 1959 dans un recueil de ses différents écrits 8 • Il y aborde indirectement la validité des méthodes en usage dans la statistique en critiquant l'ingénieur Tchoukhanov, spécialiste de la thermotechnique, savant de formation purement soviétique (né en 1912) et membre correspondant de l'Académie des sciences 9 • Ce dernier avait proposé au Comité pour l'équipement technique ( Gostekhnika) de mesurer l'efficacitédu nouveau matériel par le seul accroissement de la production brute sans tenir compte de ses composantes - non par l'économie de travail réalisée, ni en évaluant les parts respectives de l'accroissement de la production brute et de l'économie de travail, seuls procédés rationnels selon Stroumiline. Celui-ci s'en prend à Tchoukhanov dont la méthode lui permet d'affirmer que l'accroissement annuel de la production au cours des deux derniers plans quinquennaux fut de 15 % environ, auxquels il faudrait ajouter les 5 % du fonds d'amortissement destinés à remplacer l'outillage usagé : L'affirmation de Tchoükhanov n'est fondée que sur la dynamique des investissements et sur les accroissements annuels du volume de la production brute et elle ne tient aucun compte de la main-d' œuvre indispensable à ces accroissements. Or le matériel technique ne peut rien créer .sans dépenser le travail fourni par la main-d' œuvre. Premier défaut de la conception de Tchoukhanov. Le deuxième est d'adopter comme mesure de l'efficacité des investissements la dynamique de la pro7. G.E.S., 2e éd., t. 41, p. 159. 8. S. G. Stroumiline : Aperçu sur l'économie socialise, de l'URSS, 1929-1959, Moscou 1959. 9. G.B.S., 28 éd., t. 47, p. 485. iblioteca Gino Bianco 47 duction brute, sans tenir compte des modifications qui surviennent dans la composition de cette production. Ces modifications sont pourtant essentielles. Ainsi, de 1932 à 1955, la structure des dépenses de la production industrielle avait évolué de la façon suivante : Éléments des dépenses I. MatériallX . . . . . . . . . . . . . . ....... . 2. Combustible et énergie ........... . 3. Dépenses monétaires (services) ..... . Total des 3 éléments ........... . 4. Amortissement .................. . Total des dépenses matérielles .. ( c) 5. Salaires ...................... (v) 6. Majoration de salaires ............ . Total des dépenses . . . . . . .... . 1932 47,5 6 7,4 60,9 3,5 -- 64,4 30 5,6 100 1955 66,1 6,2 3,1 75,4 3,4 78,8 19,8 1,4 100 En 23 ans, sur la base de 100 roubles de salaires v, les dépenses matérielles c passèrent de 215 à 398 roubles, soit une augmentation de 85 %, C'est là une modification très importante. Elle signifie que la production nette, c'est-à-dire le revenu national, s'accroît chez nous comme partout ailleurs plus lentement que la production brute (p. 234). Stroumiline précise sa pensée par une note au bas de la même page : La production brute s'accroît surtout du fait de la comptabilisation réitérée des éléments matériels de cette production, tandis que l'usure des moyens de production et les salaires ne sont comptés qu'une fois. Il s'ensuit que la part de ces derniers dans le total des dépenses décroît par rapport aux dépenses matérielles. * ,,. ,,. CE DÉCALAGeEntre production brute et production nette est un fait patent ; mais il semble avoir été volontairement ignoré des statisticiens soviétiques qui continuent à ne publier que des données concernant la production brute. Ces chiffres, quand il ne s'agit pas seulement de pourcentages, comme sous Staline, sont naturellement bien plus commodes pour la propagande tendant à magnifier le progrès de l'économie que les chiffres beaucoup plus modestes de la production réelle, calculable par des méthodes plus , . prec1ses. Pourtant les économistes soviétiques savent depuis plus de trente ans que les indices de la production brute ne peuvent guère rendre compte de l'évolution réelle de l'économie. Dans la Grande Encyclopédie Soviétique (1re éd., vol. 8), l'article valovaia prodouktsia (production brute) en offre la preuve. L'ouvrage date de 1927, époque où Staline n'avait pas encore rendu obligatoire le mensonge ou la dissimulation. On y peut lire en effet : Le terme « production brute » désigne une des inéthodes de calcul en valeur du volume de la production. Pour une unité économique distincte, par exemple une entreprise industrielle, fa « production brute >> représente la somme de la valeur des produits
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==