Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

F. CARSTEN poli~que ). Ex~ulsée de Pologne, elle ne devait Jamais y reverur. A la fin du xixe siècle, elle avait fait de l'Allemagne sa patrie. Elle y travailla avec Karl Kautsky, rédacteur en chef de Die N eueZeit, hebdomadaire théorique des sociaux-démocrates, qui s'employait à populariser les théories marxistes. Dans cette revue et aux congrès du Parti elle croisa le fer avec Edouard Bernstein, qui venait de publier ses articles sur les « Problèmes du socialisme », où il mettait l'accent sur la transition du capitalisme au socialisme et révisait le marxisme orthodoxe dans un sens fabien 1 • Elle engagea bientôt dans Die N eue Zeit, avec un autre personnage du mouvement socialiste international, V. I. Lénine, une controverse sur l'organisation de la social-démocratie russe et les pouvoirs du Comité central du Parti, montrant par là qu'elle avait conscience des dangers qui menaçaient de l'intérieur le mouvement révolutionnaire. Elle tira les conclusions de la révolution de 1905 et y découvrit une arme nouvelle, d'une importance primordiale, la grève politique de masse, qu'elle tenta d'importer en Allemagne. Son étroite collaboration avec Kautsky prit fin au bout de quelques années : elle avait appris à se méfier de la terminologie marxiste de ce dernier et fini par douter que les dirigeants sociaux-démocrates fussent prêts à traduire dans les faits leurs professions de foi révolutionnaires. A LA VEILLE de la première guerre mondiale, R. Luxembourg était le cerveau doctrinal incontesté de la gauche social-démocrate allemande, dont les membres se prétendaient seuls vrais héritiers de l'esprit révolutionnaire de Marx. Dans son œuvre théorique la plus importante, L' Accumulationdu capital, elle s'efforçait de démontrer que le capitalisme n'avait pu s'étendre que grâce aux marchés non capitalistes des colonies : le partage du monde entre les puissances impérialistes, qui provoquait l'absorption progressive de ces marchés et leur conv~rsion au capitalisme, devait fatalement conduire le système à sa « phase finale » : L'impérialisme est à la fois une méthode historique pour prolonger l'existence du capitalisme et le moyen le plus certain de mettre fin à son existence dans le plus bref délai. Ce qui n'implique pas que le but final doive être atteint inévitablement et de façon mécanique. Cependant la tendance à cette limite finale du développement capitaliste s'exprime déjà dans des formes qui feront de la dernière phase du capitalisme une période de catastrophes 2 • I. La critique de Bernstein par R. Luxembourg_ fut publiée en 1900 sous le titre : Sozialreform oder Revolutzon? 2. Die Akkumulation des Kapitals, Leipzig 1921, Frankes Verlag, p. 424. BibliotecaGino Bianco 33 Elle affirmait pour conclure que... ...plus le capital, grâce au militarisme, liquide dans le monde entier et dans la métropole les couches non capitalistes et abaisse les conditions de vie de tous les travailleurs, plus l'histoire quotidienne de l'accumulation du capital dans le monde devient une chaîne continue de catastrophes politiques et sociales et de convulsions qui, se conjuguant avec les catastrophes économiques périodiques sous forme de crises, rendront impossible la poursuite de l'accumulation du capit~l ~ ...) avant même que le capitalisme ait atteint les limites naturelles de son développement économique 3 • Selon Rosa Luxembourg, le capitalisme était condamné et sa crise finale inévitable : elle était en cela d'un avis différent de Lénine, dont L'Impén'alisme, stade suprême du capitalisme, écrit quelques années plus tard, présentait certaines analogies avec sa propre analyse, tout en évitant de se prononcer de manière catégorique su~ le. caractère « inévitable » de la chute du capitalisme 4 • Cependant la réputation de R. Luxembourg en tant qu'écrivain socialiste est moins due à ses théories économiques qu'à sa position intransigeante devant la guerre et le militarisme. En février 1914, elle fut arrêtée et condamnée à un an de prison pour incitation de mili~aires à _la rébellion. Elle avait déclaré en public : « S'ils attendent de nous que nous assassinions nos frères français ou autres, disons-leur alors : Non, en aucun cas.» A l'ouverture des hostilités, en août 1914, le parti social-démocrate allemand (comme la plupart des partis socialistes) ~écida de défendre la patrie et de voter les crédits de guerre ; seule une petite minorité de militants s'éleva contre cette décision et aucun député socialiste ne s'opposa au vote décisif du Reichstag le 4 août. Dès le début, R. Luxembourg s'en prit vivement à cette politique et ne pardonna jamais aux dirigeants du ~arti d'avo~r trahi les idéaux auxquels ils avaient souscrit naguère : Le 4 août 1914 la social-démocratie allemande officielle, et avec elle l'Internationale, ont fait lamentablement faillite. Tout ce que nous avions prêché depuis cinquante ans, ce que nous avions proclamé comme nos principes les plus sacrés, ce que nous avions exposé dans d'innombrables discours, pamphlets, journaux et tracts, est devenu soudain vide de sens. Le parti de la lutte de classe du prolétariat international s'est tout à coup transformé, comme par un maléfice, en un parti national libéral; les solides organisations qui faisaient notre fierté se sont révélées totalement impuissantes ; et au lieu d'être les ennemis mortels, craints mais respectés, de la société bourgeoise, nous sommes devenus les instruments franchement méprisés de notre ennemie mortelle, la bourgeoisie impérialiste, et nous avons abdiqué toute volonté. Les autres pays 3. Ibid., p. 445. 4. C'est pourquoi R. Luxembourg a toujours été critiquée par ses commentateurs « marxistes ». Cf. par ex. les remarques de l'Institut Marx-Engels-Lénine, in Rosa Luxembourg : Ausgewâhlte Reden und Schnften, I, Berlin 1951, p. 408.

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