ROSA LUXEMBOURG par Francis Carsten Toute crise ou dissidence dans le communisme officiel incite les hérétiques à découvrir Rosa Luxembourg pour se référer à sa brochure sur la Révolution russe. De fait, c'est un écrit des plus remarquables et qui n'a rien perdu de sa valeur analytique ni de son intérêt prophétique depuis quarante ans et quelque ; aussi est-il cité en maintes circonstances, chaque fois que des communistes s'émancipent et s'avisent de critiquer, en marxistes, la théorie et la pratique du bolchévisme. Avec son Accumulation du capital, Rosa Luxembourg a d'autre part enrichi notablement les études d'économie politique postérieures à Marx et Engels, même si certaines de ses vues sont discutables. Mais elle fut en outre une propagandiste de la social-démocratie allemande, puis avec Liebknecht une agitatrice à la tête du groupe Spartacus, de tragique mémoire, et l',on ne lit plus sans malaise sa rhétorique sur << les masses » et leur capacité politico-historique. Pour ces raisons, il importe de bien situer Rosa Luxembourg dans la pensée comme dans l'action révolutionnaires contemporaines. PARMI les dirigeants prosaïques et dénués d'imagination du parti social-démocrate allemand des premières années du :xxe siècle, tout occupés à obtenir de meilleures conditions de vie pour les travailleurs et à publier de ronflantes déclarations contre les maux de la société bourgeoise (ce qui n'obligeait personne à agir), quelqu'un tranchait nettement : une femme ardente, Polonaise d'origine juive, petite et mince, boitillant légèrement à la suite d'une maladie d'enfance. Son éloquence soulevait les masses; c'était une révolutionnaire professionnelle qui semblait appartenir au monde russe dont elle était issue plutôt qu'à l'Allemagne moderne. Rosa Luxembourg était née le 5 mars 1870 dans une famille aisée de Zamosc, petite ville polonaise près de Lublin. Sa vie coïncida presque exactement avec celle de l'Empire allemand fondé par Bismarck à Versailles le 18 janvier 1871 ; elle ne survécut que quelques semaines à l'abdication de Guillaume II. Sa famille partageait les aspirations du mouvement national polonais : à l'âge de seize ans, R. Luxembourg adhéra au groupe révolutionnaire socialiste appelé Proletariat et prit part à son activité clandestine parmi les ouvriers de Varsovie. En 1889, menacée d'arrestation, elle se réfugia à Zürich, alors point de ralliement des émigrés politiques russes et polonais. Elle suivit des cours à l'université et prit part à la vie politique et intellectuelle intense de ses camarades socialistes, aux discussions passionnées qui préfiguraient les batailles à venir. Son activité politique restait intimement liée à la Pologne. Elle fut cofondatrice du parti socialdémocrate de Pologne et de Lituanie en 1894 et collabora très activement au_journal du parti publié 4 Paris. Elle était opposée au mot d'ordre de l'indépendance pour la Pologne, défendu par un autre parti socialiste polonais (P.P.S.) : elle préconisait au contraire le renversement de l'autocratie tsariste avec l'aide de la classe ouvrière russe comme première tâche du mouvement révolutionnaire polonais. .Elle voulait une république démocratique russe où la Pologne n'aurait joui que d'une autonomie culturelle. Quand elle rentra en Pologne pour participer à la révolution de 1905, son parti était devenu un parti de masse qui publiait des journaux et des tracts en plusieurs langues, fondait des syndicats et organisait des grèves, collaborait étroitement avec le parti social-démocrate de Russie. Après quelques mois d'activité intense, elle fut arrêtée en même ·temps que son ami _de touj~urs Leo Iogich~s. Elle resta quatre mots en prison et fut remise en liberté en raison de sa nationalité (elle avait contracté un mariage blanc avec un camarade allemand pour ne pas être gênée dans son travail
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