Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

28 partir de mai-juin 1949. Et comme ces procédés classiques de la guerre économique appelaient un « complément idéologique », l'appareil de la lutte psychologique fut mobilisé pour démontrer aux « masses éprises de paix » que le régime de Belgrade était un danger majeur pour la « coexistence pacifique » : « La haine profonde à l'égard du bataillon d'agents impérialistes conduit par Tito doit être la force motrice de la lutte du peuple hongrois pour la paix », écrivait par exemple le journal Szabad Nep 14 • On comprend pourquoi Boulganine comparait Tito à Judas et lui promettait qu'il aurait à rendre compte un jour de ses cc crimes sanguinaires». Et l'on admire davantage l'explication donnée par la suite de la rupture de 1948, explication suivant laquelle l'unique coupable était Béria, qui avait fabriqué de faux documents à dessein d'envenimer les bons rapports entre l'URSS et la Yougoslavie. Vision bureaucratique de l'histoire C'EST en prenant subitement connaissance du « terrible casier judiciaire» de Rœhm et de ses compagnons que Hitler avait découvert en 1934 que, loin d'être l'incarnation parfaite des idéaux les plus élevés de la jeunesse, les chefs S.A. n'étaient que des « enfants du chaos ». De même, c'est en étudiant (à la lumière du marxisme, bien entendu) « tous les documents sur lesquels sont fondées les graves accusations et les injures portées à l'époque contre les dirigeants yougoslaves» que Khrouchtchev eut la révélation que le régime dirigé par les « camarades yougoslaves» n'avait jamais été un « régime esclavagiste», ~ais qu'il était au contraire un régime « socialiste)). La lumière était faite : toutes les injures jusqu'alors déversées sur la Yougoslavie et ses chefs n'étaient dues qu'aux machinations de Béria, lui-même agent des services secrets britanniques. La dématérialisation de l'histoire atteint ici s~ forme achev~e : la nature sociologique d'un regrm~ tou! _entierne s~ définit plus sur la base de faits ver1fiables, mais sur la foi de renseignements apocryphes et de « documents )) qu'il suffit de commander aux spécialistes. ,Marx. croyait avoir touché terre lorsqu'il decouvnt que les « rapports de production )> - rapports établis « indépendamment de la volonté des hommes )>, suivant le degré du développement économique - forment la « base m~tér!elle» de la société. Mais, tout d'abord, qui s~t _siles « do~u~ents »,~OJ?-itl s'est servi pour decnre le cal?it~isme n etaient, ~ux aussi, que des faux fabriques par quelque diabolique policier, agent du « socialisme féodal ))ou vendu aux 14. Cité par F. Fejto : Histoire des démocraties populaires, 1951, p. 258. . . LE CONTRAT SOCIAL adversaires de l' Anti-Corn League ? Qui nous dit que les chiffres, les rapports, les témoignages qui remplissent les 2.000 pages du Capital ne sortent pas tout droit de quelque officine réactionnaire ? De toute manière, Marx se trompait lourdement lorsqu'il affirmait le caractère « empi- · riquement constatable » de la vie économique et politique de la société. En effet, rien de moins visible que la « vie matérielle » de 22 millions de citoyens yougoslaves : ici, les apparences socialistes peuvent fort. bien cacher l' « identification complète » du capital financier avec un capitalisme d'État anonyme... L'inverse est d'ailleurs également possible, et le règne dénoncé avec fureur des magnats du capital financier et des bandits du capitalisme d'État, ainsi que le « martyre du peuple yougoslave », peuvent également n'être qu'une pure apparence exotérique derrière laquelle les cc hommes épris de paix )> doivent reconnaître et saluer la cc voie yougoslave vers le socialisme ». Tout dépend donc, non pas évidemment du cc point de vue de classe » où l'on se place, mais de la manière cc superficielle » ou cc approfondie )> dont le chef du moment lira des cc documents )> qui peuvent être vrais ou faux, mais qui de toute façon restent inconnus du commun des mortels. On aurait tort de sourire de cette manière d'ériger les rapports policiers au rang d'instance sociologique suprême. Pareille manière de considérer le présent << comme un problème historique » 1!' est-elle pas celle qui convient le mieux à un Etat bureaucratique fondé, Marx dixit, sur la religion du secret ? Ici, effectivement, « toute manifestation de l'esprit public », et plus précisément toute information économique, politique, sociale, est devenue crime de « trahison envers le mystère >) bureaucratique : quoi d'étonnant si le halo de la souveraineté n'est plus qu'un vulgaire rideau de fumée ? L'important est que pareilles fables laissaient depuis longtemps sans réaction les idéologues occidentaux. Ils n'eussent pourtant pas risqué grand-chose à méditer tant soit peu sur le rire avec lequel leurs camarades yougoslaves avaient accueilli les explications de Khrouchtchev. On a pu constater en 1955 que nombre de militants et de « théoriciens » qui jadis avaient dénoncé avec indignation les crimes de la « clique de Tito» se satisfaisaient d'·une interprétation de la rupture de 1948 dont le caractère pour le moins humoristique ne pouvait échapper à personne. Il semble, qu'à partir d'un certain degré de développe~ent des réflexes caporalistes, les justifications « théoriques », le fatras de formules rituelles sur le « capital financier », les propos phi~anthropiques sur le « martyre )> des peuples deviennent superflus. Sermons et explications ne sont plus que des survivances anachroniques de formes primitives d'agitation. A leur place, on ne voit que le mépris jovialement affiché P?Ur ~oute espèce d' « arguments », d'où qu'ils viennent - et l'appel au modèle prestigieux de

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