L'HISTOIRE AU TRIBUNAL par Kostas EN BABYLONIE la souveraineté descendait du ciel. Maintenant elle doit naître sur terre et se légitimer par l'histoire. Le temps n'est plus où un rêve incestueux dûment interprété suffisait pour illustrer et consacrer une vocation césarienne : ce sont les propagandistes devenus historiens qui remplacent aujourd'hui les prêtres d'Hercule à Gadès. Dans notre monde désacralisé où le pouvoir n'a plus de fondement religieux, le despotisme ne peut se maintenir qu'en imposant une vision toujours plus factice de la réalité, en transformant ~'histoire en mythologie. Or, pour rendre méconnaissable le présent, il fallait aussi asservir le passé, le plier aux exigences de la propagande. Aussi dans aucune société, à aucune époque, la falsification de l'histoire n'a-t-elle atteint les proportions que lui a données le stalinisme : ceux-là mêmes qui divinisèrent l'histoire et tentèrent de tirer une morale de l' « obligation historique» se sont allégrement livrés à une entreprise de démolition des faits historiques comme le monde n'en avait jamais vue. _ L'asservissement du passé CET ASPECT du despotisme, Napoléon déjà l'avait pressenti : « L'esprit dans lequel doit être écrite l'histoire, voilà, disait-il, ce dont il faut s'assurer avant tout... L'important est de ~ger monarchiquement l'énergie des souvenirs 1 ~ » Et Nietzsche, qui connaissait ces paroles, parlait avec un véritable effroi de la possibilité de perdre, de gâter le passé. Dans ses œuvres il est toujours question d'un « grand despote qui forcerait le 1. Cité par Caulaincourt : Mémoires, II, p. 281. 2. Werke, éd. Naurnaoo, VI, p. 293, et XII, p. 93. 3. Cf. Guchichte und K/assenbewusstsein, 1923, p. 173. 4- Summa theol., I, 25, qu. 2 et 4. Biblioteca Gino Bianco Papaioannou passé suivant son bon plaisir », d'un « grand monstre qui nous mettrait ( un fouet dans la main pour le maltraiter» 2 • Mais que dirait Nietzsche aujourd'hui ? Le temps est loin en effet où Georges Lukacs vitupérait « l'essence non historique, antihistorique de la pensée bourgeoise » et « l'incapacité des penseurs et historiens bourgeois à poser le problème du présent comme un problème historique » 3 • Selon lui, seuls les philosophes « prolétariens » étaient en mesure de comprendre historiquement leur époque ; quinze ans plus tard, historiens, philosophes et littérateurs marxistes se faisaient un devoir de falsifier systématiquement l'histoire même de la révolution qui les prédestinait à la compréhension historique. Le « tribunal de l'histoire » que glorifiait la métaphysique ayant été identifié à celui que présidait Vychinski, l'épuration devint totale et rétroactive : l'histoire fut littéralement vidée de sa substance - aussi bien les personnages qui l'avaient faite que les événements dans lesquels elle s'était matérialisée. « Il n'y a pas de forteresse imprenable pour un bolchévik » : forte de cet axiome, la propagande s'est arrogé les pouvoirs les plus exorbitants, ceux-là mêmes que la théologie avait jusqu'alors refusés à la toute-puissance divine. Saint Thomas écrit : « Solum id a Dei omnipotentia excluditur, quod repugnat rationi entis, et hoc est quod fuit non fuisse » 4 , et, se référant à Aristote : « Et philosophus dixit : hoc solo privatus, Deus ingenita f acere quae sunt f acta. » La preuve a été administrée depuis que ce qui était interdit au Dieu d' Aristote et de saint Thomas n'était que trop possible pour un appareil de propagande émancipé de l' « obscurantisme théologique». Ce qui était refusé au Dieu qu'implore Thomas Heywood : 0 God ! 0 God ! That it were possible To undo things done; to call back yesterday,
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