Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

22 les Bédouins qui suivaient le Prophète n'étaient guère avancés dans le développement des forces productives ? Pas tout à fait, mais il postule que si la victoire militaire momentanée peut revenir au sous-développé, c'est le civilisé, même conquis, qui aura toujours l'avantage définitif - ce qui est loin d'être évident dans tous les cas, et paraît pécher par excès d'optimisme historique après la sombre prophétie de la guerre industrielle. La divergence entre saint-simoniens et marxistes sur l'origine et le caractère des relations de domination et de servitude se prête à une investigation théorique soucieuse de vérifier les grandes hypothèses. Mais il s'agit de la guerre, et l'intérêt de la question n'est pas seulement théorique. Administration des choses et dépérissement de l'État LE SLOGAN du «dépérissement de l'État», dont la fortune a été assurée par Staline, tire son origine littérale de l' Anti-Dühring. On sait que Staline s'était donné pour tâche d'expliquer comment le « socialisme », caractérisé par la suppression des classes sociales, s'était enfin réalisé sous son règne. L'État qui, selon la pure doctrine, doit son origine et son maintien à la lutte des classes, ne s'était cependant jamais si bien porté. Mais qu'à cela ne tienne, au moins par la grâce de la dialectique : le «dépérissement de l'État » passe par le «renforcement» maximum de ses pouvoirs, de telle sorte que «monté sur le faîte, il aspire à descendre» quoiqu'il n'en témoigne guère d'envie. Engels s'était trouvé devant une difficulté de caractère plus théorique puisqu'il n'était pas personnellement appelé à gouverner. Il convenait que le socialisme se proposait pour objet de «socialiser », et que socialiser ne pouvait être au moins dans l'immédiat, qu' «étatiser» la pro~ duction et les échanges. Dès lors, que devenaient la polémique marxiste contre le «socialisme d'État », de Rodbertus à Lassalle, et l'entreprise de séduction menée à l'~gard des travailleurs d'esprit libertaire pour fiure _front à l'offensive bakouninienne et proudhonienne ? Ces gens-là n'étaient pas amis de l'État, ~ même du gouvernement, quel qu'il soit. Il fallait donc recourir à la dialectique en montrant_ que tabsorption de la société par l'État 1evait avoir po_~r,corollaire la résorption de 1 Éta~~an~la soc1ete_I.l semble que ces astucieuses cons1derat1ons auraient pu être menées à bien en .s~_fondant sur une simple loi logique : si la soc1ete se confond avec l'Etat, celui-ci se confond avec la so~iété, de telle sorte qu'il n'y a plus d'État (mais partant plus de société et c'est le hic car les anarchistes proudhonien~ souhaitent la victoire de la société sur l'État et non l'inverse). Comme Staline ~vait récours explicitement à Engels, Engels avait eu recours implicitement à Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Saint-Simon ou aux saint-simoniens. En évoquant le « dépérissement de l'État », on retrouve incontestablement la formule de la substitution de l' « administration des choses » au « gouvernement des hommes », qui est belle mais difficile à interpréter concrètement. Il faut noter que Proudhon l'avait lui-même adoptée en disant que «l'atelier remplacera le gouvernement», comme aimait à le répéter Léon Jouhaux. Replacée dans son contexte théorique originel, la formule saint-simonienne découle de la loi du passage du militarisme à l'industrialisme que Saint-Simon pensait avoir découverte. A l'ancien État féodal, clérical et militaire, ayant pour objet la domination des hommes, se substituera le «gouvernement » scientifique et technique des responsables de la production se proposant la domination, non plus des hommes, mais des choses mises au service de l'homme. Ainsi une certaine conception de l' « anarchie » (celle que fera prévaloir Proudhon) se trouve déjà dans Saint-Simon, malgré l'autoritarisme bien connu de la secte organisée, après la mort du fondateur, sur le modèle hiérarchique de l'église catholique. Belle, bien que difficile à interpréter, la formule s'éclaire cependant à la lumière de la doctrine du maître. En effet, comment envisager l'application ? Marx et Engels taxaient d' « utopies » les planifications théoriques anticipées, se voulaient «scientifiques » en ne donnant pas de « recettes pour faire bouillir les marmites de l'univers » et se contentaient de prévisions volontairement vagues, tirées de ce qu'ils estimaient être des lois historiques. Mais l'utopiste SaintSimon, ou les utopistes saint-simoniens, soucieux de détails seulement lorsqu'il s'agissait d'organiser le règlement intérieur de la secte dans le présent, procédaient déjà de la même façon comme le montre à l'évidence l'exemple de la formule. Il semble donc que le « socialisme scientifique » ait retenu de l'utopie qu'il prétendait dépasser ce qui précisément pouvait être le plus utopique au sens ordinaire du mot : est « utop~que » te dont on ne sait ni où, ni en quel temps, n1 surtout comment cela pourra se passer. L'objection à la formule saint-simonienne, fondée sur la seule observation du passé (on n'a pas à vrai dire encore observé le futur) est, en effet, la suivante : pour administrer les choses, il faut jusqu'à plus ample informé passer par l'intermédiaire des hommes. Dès lors, comment gouverner les choses sans gouverner les hommes ? Pour construire le canal de Suez - réalisation saint-simonienne, comme on sait - il fallait commander non seulement à des machines et à de_soutils, ~ais encore à ~es travailleurs qui faisaient f oncttonner machines et outils conformément aux directives, puisqu'il n'était nullement · question de laisser chacun œuvrer à sa guise. Le ~ef!ller saint;-si~onisme avait la réputation justtfiee, en theorie et en pratique, d'être un système autoritaire. Mais comment concilier l'honneur anarchiste avec l'autoritarisme des planifi-

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