20 enfants, assurant ainsi l'existence de la « multitude » qui, en dernière a~alyse, fait le <c_pe~ple ». De là procède la relation entre proletariat et «grand nombre » et aussi la confusion qu'il est commun de faire entre prolétariat et peuple; le peuple est proprement l'ensemble des citoyens, pas seulement ceux qui appartiennent à la dernière classe. L'attribut négatif du prolétariat est la condition de «non-propriétaire », ce qui explique la genèse du terme marxiste. A partir de là on retrouve la notion de « pauP.érisme » dans un sens qui n'est pas celui de l'Evangile. Il est évident que le sens saint-simonien, qui résulte de la fusion du concept évangélique et du concept politique antique, ne saurait se confondre avec le sens marxien de «prolétaire». Mais ici encore il y aurait lieu de distinguer le sens ésotérique (technique ou scientifique) admis par Marx et le sens exotérique valable pour la propagande. Le «prolétaire » marxien est le salarié producteur de plus-value pour son employeur : il est prolétaire en tant que nonpropriétaire, vendeur exclusif de force de travail parce qu'il n'a pas d'autre moyen de subsistance. Il n'est cependant pas un « pauvre » en ce sens qu'il n'est pas un «mendiant » de fonds privés ou publics : s'il réclame quelque chose, c'est son dû. De là l'opposition couramment reçue dans les écoles marxistes entre la justice sociale et la charité chrétienne, entre la revendication et l'imploration. Au prolétaire marxien ne s'applique même plus exactement la dénomination de «plébéien », si elle est prise au sens romain post-républicain : le plébéien de l'Empire n'est pas productif, il vit de l'aumône privée de son «patron» (sportule) ou de l'aumône publique de l'Ëtat (distributions de blé, etc.) ; de sorte que, finalement, malgré l'indigence et le nombre, il s'agit d'une forme de parasitisme, tu1 parasitisme humble. En entendant par «pauvre » un travailleur situé au plus bas de l'échelle sociale, Saint-Simon annonce Marx, mais le texte cité plus haut permet de voir qu'il n'aurait pas souscrit sans nuances à la formule marxiste : «L'émancipation des travailleurs [prolétaires] sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes.» En effet, c'est à la «société» tout entière qu'il fait un impératif moral de travailler à l'amélioration du sort de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse. Sans doute le sai~t-sim?nien dit:~l !m~l~citement au «pauvre » : «Aide-toi, la societe t aidera», ce qui signifie qu'il ne réprouve pas l'esprit des luttes ouvrières. Mais ce n'est pas contre le «patron >>(au sens moderne, et non antique, du mot), c'est-à-dire le «fabricant», qu'il invite à lancer d'abord l'offensive revendicatrice, mais plutôt contre le parasitisme au sens précédemment défini, dût le prolétaire faire cause commune avec le patron. Enfin l'injonction principale d'aider le «pauvre>> est adressée à la société;.qui joue ici le rôle d'une ~rovi~ence. A ce p~int de vue, l'esprit saintsunoruen est compauble avec· un certain paterBiblioteca Gino Bianco---- LE COlvTRAT SOCIAL nalisme social rarement reconnu en théorie, le plus souvent admis en pratique, surtout lorsqu'il s'agit du paternalisme public. On pourrait dire· que le prolétariat réformiste moderne a évolué dans le sens saint-simonien. Le texte du maître montre clairement qu'il a en vue une amélioration relative, compatible dans chaque cas avec les possibilités offertes par le progrès et l'éviction du parasitisme, plutôt qu'un objectif hyperbolique visant à la constitution finale d'une société èntièrement « nivelée » ou «sans classes », selon le vœu de Marx. En ce sens, c'est le «socialiste scientifique>>qui se révèle le plus «utopiste>> par la tournure apocalyptique de sa prédication révolutionnaire. Il est bien connu d'autre part que les saint-simoniens ne sont rien moins qu' égalitaires et ne professent pas avec " Proudhon qu'une «heure de travail en vaut une autre ». Les marxistes précisent souvent que la formule saint-simonienne: «De chacun suivant ses capacités, à chaque capacité suivant ses œuvres », est pour eux celle du « socialisme >>au sens propre du mot (Staline lui-même s'est exprimé en ce sens) ; mais ils maintiennent toujours la perspective finale d'un «communisme» qui ferait disparaître jusqu'au problème de l'égalité, en se montrant à même d'assurer la distribution exclusivement suivant les besoins. Coexistence ou alternance des deux formules, le problème demeure entier. Militarisme et théorie économique de la violence LA LOI fondamentale du développement temporel de l'humanité, énoncée par Saint-Simon, concerne le passage du «militarisme >> à l' « industrialisme». Dans l'esprit du maître, elle n'est guère séparable de celle qui se rapporte au développement spirituel et au passage du « cléricalisme>>archéo-théologique au règne des savants, des a~stes et des techniciens. Auguste Comte, après sa rupture avec le maître et l'école, conservera les deux lois en faisant passer la loi du développement temporel au second plan, celle du développement spirituel, dite des trois états, devenant la figure de proue. Il subordonnera explicitement le développement temporel au développement spirituel ou intellectuel de l'humanité, construisant ainsi par anticipation la thèse socio-historique que l'on pourra plus tard opposer à celle du matérialisme historique. Une nébuleuse saint-simonienne était grosse du positivisme de Comte qui n'a guère marqué nos destins temporels ( à l'exception de la devise du Brésil) mais sûrement imprégné nos destins spirituels. Cela suffirait à montrer que l'esprit du saint-simonisme n'était pas, et ne pouvait · être, celui du matérialisme marxiste. Entre positivisme d'origine saint-simonienne et marxisme, il subsiste des différences et des affinités analogues à .celles que l'on trouve aujourd'hui entre améri-
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