SAINT-SIMON ET MARX par Aimé Patri IL EXISTE une filiation historique de certains concepts de Marx et d'Engels à ceux de SaintSimon. Nous nous sommes proposé d'examiner la question logiquement plutôt qu'historiquement; il en résulte une simple confrontation. On ne trouvera donc dans les lignes qui suivent ni exégèse des textes ni recherche des sources, mais plutôt des sortes de vues cavalières. La justification de l'entreprise nous paraît résider dans le fait que s'il n'existe plus d'organisations saintsimoniennes, un certain esprit saint-simonien demeure diffus. Précisons que par« saint-simonien» nous entendons ce qui revient non seulement au fondateur mais à ses disciples (nous n'avons pas cru devoir écarter un dissident comme Auguste Comte); par «marxiste» ce qui appartient aux deux fondateurs du matérialisme historique, en les distinguant parfois, puis à ceux qui se sont réclamés de leur doctrine (on verra qu'à un moment donné nous avons dû évoquer Staline lui-même). Nos concepts vont par couples: un saint-simonien, un marxiste, pour faire ressortir les affinités et les différences. Dans les quatre premières sections, nous croyons que cette présentation est justifiée par la filiation historique ; dans la dernière, où nous avons recueilli ce qui n'avait pas trouvé place ailleurs, nous convenons qu'il n'y a plus de justification de cette sorte. Parasitisme et exploitation LA CÉLÈBRE Parabole de Saint-Simon (1819) met en lumière le concept du «parasitisme» social : - La prospérité de la France ne peut avoir lieu que par l'effet et en résultat du pro~ès des sciences, des beaux-arts et des arts et métiers. Il s'ensuit qu'aux savants, aux artistes, aux techniciens de tous ordres, aux banquiers, négociants, cultivateurs, fabricants, ouvriers et artisans de toutes sortes, il est légitime d'opposer « les princes, les grands officiers de la Couronne, les évêques, les maréchaux de France, les préfets et les propriétaires oisifs». Ceux-ci, non seulement ne font rien pour le progrès, mais sont nuisibles parce qu'ils prolongent la prépondérance de l'esprit rétrograde, privent les citoyens utiles de la considération qui leur est due en l'usurpant, prélèvent sur la nation un véritable tribut par la voie du fisc ou de la rente privée. A ces véritables frelons s'opposent les hommes capables ou productifs. Le concept saint-simonien de la capacité s'identifie à celui de la productivité dans tous les domaines où le progrès peut se manifester. De là cette notion du «producteur» que chantera encore la muse de Pottier et qui donnera son titre à l'organe de la nouvelle école.,· · Le parasite au sens saint-simonien est-il aussi un «exploiteur » au sens marxiste ? Il y a lieu de penser que c'est à Saint-Simon et aux saintsimoniens que Marx et Engels ont emprunté le terme d' «exploitation », mais à la faveur d'un détournement de signification. Le maître et ses disciples opposaient à l' « exploitation de l'homme par l'homme » l'exploitation de la nature par l'homm~. La formule marxiste « exploitation de l'homme par l'homme » est littéralement saintsimonienne, mais au sens saint-simonien le « producteur » est aussi un « exploiteur », quoique d'une autre sorte. D'autre part, au sens marxiste, un banquier, un négociant, un fabricant sont des « exploiteurs » aussi bien qu'un rentier. Ce sont en effet des « profiteurs » en ce sens qu'ils tirent leur revenu du profit capitaliste dont la source dernière est la· « plus-value ». Saint-Simon ne retient comme ..
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