16 contredit en rien la prépotence du gouverneur général. L'une des plus lourdes erreurs de la colonisation française s'avéra dans le refus d'associer hardiment les élites indigènes aux responsabilités administratives et politiques. Seul peutêtre, Lyautey sut voir grand et dét_intl~s ~oyens d'agir ; son proconsulat maroc~n, e~aye par l'autorité des grands caïds, fut à Juste titre pendant quelques années cité en , exempl_e. Mais l'expérience dura trop peu et 1 on hes1te à en rien conclure. Il est encore plus embarrassant d'apprécier le rendement économique de l'empire édifié par la Troisième République. Selon Étienne et ses coéquipiers, c'ét~t une merveilleuse ':aleur ~'av<:- nir, mais les detracteurs ne manquerent Jamais qui soutinrent, chiffres en main, qu: les colonies coûtaient plus qu'elles ne rapportaient, nombre de _dépenses étant naturellement dissimulées dans les budgets militaires, dans ceux de !'Instruction publique, des Affaires étrangères, etc. Se procurer des débouchés en colonisant des territoires dont la population est, ou bien clairsemée, ou bien privée de tout pouvoir d'achat, voilà qui a priori semble peu convaincant. De toute évidence tout doit commencer, et pour on ne sait combien de temps, par une politique de mise en valeur, une politique d'investissements et de crédits à long terme. Mais on se heurtait ici à des obstacles tenant aux traits bien connus du caractère français. Si les Français s'enthousiasmaient volontiers pour la cause de leurs colonies, ils étaient peu enclins à s'y fixer pour travailler ; les fruits de leur thésaurisation se portaient non sur des valeurs industrielles, mais sur des fonds d'État qu'on estimait, fussent-ils russes ou turcs, nantis des meilleures garanties. L'impression désastreuse causée par le scandale panamiste, la timidité des banques et des prêteurs, privaient les entreprises coloniales du moteur financier qui leur était indispensable et retardaient d'autant le moment d'arriver à la fermeture du cercle, à l'équilibre des avances et des profits. Il n'y avait nulle relation satisfaisante entre la richesse et la prospérité de la France d'une part, le rythme du développement économique de l'empire d'autre part. Doit-on se rallier à l'opinion d'Henri Brunschwig, selon lequel la colonisation française n'a jamais profité qu'à des mercantis, des officiers et des fonctionnaires ? Elle est beaucoup trop tranchante et certainement injus~e, mais elle protège contre la tentation de croire que l'exploitation coloniale fut pour les Européens le meilleur moyen de se procurer des trésors inépuisables; en fait ils auront souvent travaillé pour ceux qui leur succèdent. DE CETTE BRÈVE reprise de contact avec l'histoire a-t-on le droit de tirer un jugement plus éclairé ? Ce n'est pas peu déjà que de pouvoir récuser le schéma marxiste, devenu Biblioteca Gino Bianco-=--- LE CONTRAT SOCIAL à peu près classique, en vertu duquel capitalisme, impérialisme, colonialisme, définissent le cycle du mal et, donc, la dialectique révolutionnaire qui a mission de nous guider vers le salut. Cette vue des choses n'est qu'une abstraction, qu'une thèse logique. La plus évidente des constatations à faire est celle de la multiplicité des causes qui engendrent les conquêtes coloniales : goût des aventures, attrait de l'inconnu, prosélytisme religieux, philanthropie, zèle scientifique, cupidité, besoin d'expansion démographique ou industrielle, militarisme, nationalisme, luttes pour le prestige, l'influence, la possession de bases stratégiques, il n'est rien, même une mode artistique ou littéraire, qui ne puisse contribuer à l'événement. Doser l'importance de chaque facteur, c'est chimère ; il se combine aux autres en des proportions qui ne cessent de varier selon les époques et les peuples, la vie des intérêts et la vie des sentiments. Infiniment diverse en ses causes, la colonisation ne l'est pas moins en ses modes, au point qu'on répugne à recouvrir du même terme et à frapper de la même suspicion des faits absolument différents. Va-t-on convoquer devant un tribunal révolutionnaire idéal un amalgame_de prévenus parmi lesquels on reconnaîtrait pêle-mêle Pizarre, saint François-Xavier, Tamerlan, Livingstone, Léopold II, Brazza, Cecil Rhodes, Lyautey ? Il y eut des colonisations barbares et exterminatrices portant sur elles tous les crimes du racisme, du fanatisme, de la convoitise brutale ; il y en eut d'assez anodines et d'assez bien supportées; il y en eut de fécondes qui rendirent la vie à des déserts, multiplièrent les richesses, créèrent même de nouveaux peuples par juxtaposition ou métissage. Condamner d'un mot tout ce passé humain, c'est psittacisme maniaque, irréalisme complet. Cette plasticité des formes de la colonisation confirme d'ailleurs qu'elle ne saurait disparaître, et qu'au moment même où l'on prétend la chasser ~u ~onde elle se manifeste aussi hardiment que Jamais. , Qui ne voit tous les jours à l'œuvre les deux méthodes les plus couramment employées, celle de la colonisation idéologique et politique, instrument de l'impérialisme communiste, celle de la colonisation financière et industrielle, qui organise des constellations mal délimitées sans qu'il soit besoin entre les États qui les composent de liens politiques même très lâches ? Qui fait le plus étroitement partie de la communauté britannique, ,de la Norvège ou de l'Inde ? Le Japon, l'Italie,- ne font-ils pas partie de cette thalassocratie dont les États-Unis sont le centre ? N'estil pas clair en outre que des États récemment émancipés, tels l'Égypte et le Maroc, se hâtent d'avouer des appétits coloniaux proches de la · fringale ? Lors donc qu'on se complaît à la tribune de l'O.N.U. en des vitupérations faciles suiviesde décrets inexécutables, on perd éloquemment son temps, à moins qu'on ne se prête à des manœuvres. ..
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